AccueilAccueil  Dernières imagesDernières images  RechercherRechercher  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  
-40%
Le deal à ne pas rater :
-40% sur le Pack Gaming Mario PDP Manette filaire + Casque filaire ...
29.99 € 49.99 €
Voir le deal

Partagez|

» cherry blossoms × lina «

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas
AuteurMessage



Cherry Ford

Cherry Ford


Messages : 322


» cherry blossoms × lina « Empty
MessageSujet: » cherry blossoms × lina « » cherry blossoms × lina « Icon_minitimeVen 30 Oct - 20:24


« Aaah, enfin ! Vous voilà. Confortables ? Impatientes ? » Oh oh. Je pouffe. Cette voix est ridicule. Il fait toujours traîner les voyelles pour qu’on imagine son sourcil qui frétille. « Mmh. » On l’entend grogner et je réajuste ma position sur ma chaise d’hôpital oui voilà, rien à voir avec mon clitoris, quel clitoris ? « C’est notre heure. Je vous ai tout à moi. » Je gigote en gloussant comme une ahurie. Le rire délicieux dans sa voix la rend si grave que je crains une seconde qu’elle disloque mon téléphone de l’enceinte retro dans laquelle il est logé. En grondant rien qu’un peu plus fort, il réveillerait Teddy. « Il est midi. » Je sautille en regardant Lina. Prête ? Elle a l’air prête. On attend la catchphrase d’Hendrix Santana. On ne la manque jamais et si on ne la dit pas en même temps, il va nous arriver quelque chose. C’est sûr, j’ai lu une étude qui disait que c’est encore plus dangereux que de marcher sur les traits des pavés ou mettre le son de la télé sur un chiffre impair. Je ne suis pas faite pour ce genre d’aventure. On l’entend prendre son souffle, son accent hispanique si présent qu’il est encore perceptible. Je tends mes doigts-pistolets vers Lina qui mimique mon sourire de danseuse dans le fond du cabaret. Il va le dire dans un… deux… nos trois voix résonnent en chœur « Oh Hendrix, please funk me. »

Je rifougne, mission accomplie. La journée peut continuer, elle sera même parfaitement formidable. Peut-être même que cette petite fofolle prendra des tournants, oserais-je le dire, fantastiques. « Quelle voix, quand même. » je souligne scientifiquement. Lina ajoute « Pour un trou du cul. » Rho ! Je suis outrée. Han ! Non ? Dis donc. Mais encore: pourquoi ! Je me lève et intime « Chut. » en couvrant les oreilles de Teddy, l’une de mes bagues amplifiant le ressenti du relief créé par la profonde cicatrice qu’il gardera sur tout un côté de sa tête. Je murmure « Le Délice du Midi, un trou du wah-wah ? Je ne crois pas, madame. » à Lina et ses yeux bleus de plus en plus sombres, ces derniers temps. Elle est devenue si endolorie par l’impatience que la voir sourire sincèrement, comme à l’instant, commence à faire dangereusement briller mon regard. « Juste une intuition. » elle explique en se détournant de moi et je repousse la vision d’un quotidien durant lequel je serai, avare, réduite aux larmes, à la seule idée de voir l’expression de ma meilleure amie s’éclaircir. Estimant le terrain linguistique redevenu sûr, je libère Teddy et m’assieds en tailleur pour poser le sac contenant mon repas sur mes cuisses. Notre rituel me tient à cœur. J’y trouve, par éclats, des ressentis qui n’appartiennent plus qu’à autrefois. Ces moments où nous mangions, rions, étions tous les quatre ensemble. Les petites choses. Toutes, toutes petites choses. Je m’agite, quand le bout de mon nez me pique. Pas maintenant, pas encore, pas tout de suite. Je presse tendrement la chair du bras de Teddy. « Il va les détester quand il va se réveiller. » Il avait les plus impressionnants bras que j’ai jamais vus. Gros comme ma tête, ils contenaient plus de muscles que dans mon corps entier, à l’exception bien sûr de mon périnée. Mon périnée exploserait des noisettes, j’ai décidé. Maintenant, ils sont tout fins, pales et fragiles. Lina les fait travailler, Rachel et le kiné lui ont appris, elle fait bouger ses muscles tous les jours mais ça ne les empêche pas de s’atrophier, de l’éloigner chaque jour un peu plus de la silhouette que nous lui avons toujours connu. « Il les retrouvera, avec le temps. » annonce la voix rappée de Lina, que je sais être déjà passée par ce boulevard hanté, bordé de maisons chacune remplie d’un millier d’horreurs et d’espoirs qui, entremêlés, dansent sur des miroirs si bien, dans le noir, on les confond.

Rachel nous a tout de suite encouragés à diffuser de la musique dans la chambre de Teddy. Pour le stimuler aussi bien que pour l’occuper, s’il entend. Cette fréquence radio et cette émission en particulier se sont rapidement imposées à nous et notre rendez-vous regulier. Lina vient tous les jours. Elle vient tous les jours. Ça n’a l’air de rien, dit comme ça, les mots n’en portent pas tout le poids. On entend parler, parfois, de ce genre d’allégeance, du dévouement dont un autre -une histoire- fait preuve à l’égard de quelqu’un qu’il aime mais en être témoin, c’est semblable à parler une autre langue. Mystique et oubliée depuis plusieurs générations, telle que transmise dans quelques contes. Teddy s’endort depuis près d’un an et Lina, pourtant solide, s’est effondrée, en arrivant en retard un jour, une seule fois. Ce n’était pas grand chose, quelques minutes qui ont suffit pour être terrassée par une culpabilité qui cache la terreur folle de le savoir partir alors qu’elle n’est pas là. Je la ressens quand je la regarde suffisamment longtemps. Elle n’est pas si difficile à déceler, quand on la connaît. Elle est dans le muscle de sa mâchoire serrée, dans son souffle pincé et ses yeux ardents. « Qu’est-ce que tu manges, Lili ? » je demande en pointant son sac du menton, pas tant par curiosité que pour lui rappeler de manger. Elle a oublié et me dit « Voyons voir. » en sortant un bagel monstrueux, une bouteille d’eau et un fruit qu’elle vient poser sur la table de nuit. Elle en profite pour basculer un petit interrupteur qui éclaire un long chemin de lanternes reprenant avec paresse les contours du plafond. La chambre de Teddy est si confortable qu’en y entrant pour la première fois, on y apprend deux choses à son sujet : il est pompier et il est aimé. Les murs sont recouverts de messages, de cartes et de photos. De projets, de promesses. Sous la fenêtre respire une plante verte à laquelle Rachel a donné un prénom. Un guéridon blanc accueille l’enceinte que j’ai achetée pour eux et qui diffuse la voix chaude de mon hôte préféré dont les goûts musicaux s’accordent à merveille avec ceux de notre géant endormi. Dans le coin opposé à l’entrée, on trouve une chaise en bois dont le dossier gravé laisse lire “BEAR” en lettres dorées. Chaque pompier en a une à la caserne, celle-ci est la sienne. Ils l’ont déposée ici, symbole du fait qu’il leur manquera toujours quelqu’un à table. Qu’il y aura un vide, et qu’il n’est pas remplaçable. Tout autour d’elle sont scotchés des dessins d’enfants. Il est peut-être possible que l’un d’entre eux vienne de moi, tristement indécelable parmi les autres pourtant réalisés par des artistes dont le plus âgé a 10 ans.

Après un tunnel de publicités, la voix du Shaman du Déjeuner nous retrouve et annonce une nouvelle chanson. Je bondis sur place, me mordant un peu la langue dans l’empressement, et interpelle Lina « Mmhgh ! » qui a l’insolence de ne pas comprendre. J’essaie de finir la bouchée que j’avais entamée et mouline avec la main pour la faire patienter. Elle, n’a pas encore entamé son repas. « Hèhtheu hanhahon ! » Elle grimace, comme si elle était trop loin pour me voir ou m’entendre. La chanson va commencer et j’ai envie de tout recracher sous l’excitation. Je serais éliminée tellement rapidement à un concours de mangeurs, ça me fait de la peine. Surtout si c’est des saucisses. Quelle idée. Lina attend sans s’occuper et j’ai envie de lui reprocher de ne pas manger. Je l’imagine m’apprendre qu’elle n’a pas faim pour l’instant. Je hoche la tête. C’est d’avoir chialé, ça.
J’ai réussi à avaler mon bout de melon, quel homme. Je claque des mains, juste une fois, ce qui donne un effet un peu naze mais quand même trop violent dans le calme de la chambre. « Cette chanson ! » je répète, en pointant le plafond du doigt pour je ne sais quelle raison. « Qu’est-ce qu’elle a ? » Oh ! Je m’offusque. « Quand même ! » Je lui fais des mimes confus qui, en allégeant audiblement son souffle, font prendre le même chemin ascendant à mon coeur. La chanson a commencé, je lui fais signe d’écouter et nananane « Na… na na na ! Naaahaa.. » pour qu’elle se concentre sur la mélodie. « Hein ? » Naah oh hé. Oh hé. « Oh héééhay. » Lina me regarde comme si le fruit me ressortait par une narine, moins inquiète que fascinée. Mais ! Rhoo j’abandonne. « Notre bal de fin d’année ! » Je claquote des mains deux fois silencieusement, en apprenant merveilleusement de mes échecs récents. Elle lève le menton en disant « Aaah. » et me fait penser à Gigi. Elle plisse les yeux pour se concentrer sur la chanson et son air mutin me donne l’impression de la voir rajeunir de plusieurs années en l’espace de quelques secondes. Elle me sourit, un éclair dans le regard, et je me sens, impressionnée, ne pas encore être habituée à sa folle beauté. Sa bouteille d’eau en main, elle la débouchonne puis la lève et trinque « À Caleb. » avant d’en prendre une gorgée tandis que je pouffe en lui rendant le sentiment. « À Caleb. »

« Tu sais des fois je me dis que j’aurais bien aimé avoir été invitée au bal de promo. » J’ai l’air de l’avoir déconcentrée tandis qu’elle retournait à ce soir-là. « Comment ça ? » Ce que j’ai dit, j’aurais bien aimé avoir eu l’invitation tremblante, l’émotion et tout le tintouin. Et le garçon pomponné pour l’occasion, qui m’aurait donné un avant-goût des soirées en amoureux dans le monde. « Que quelqu’un m’invite et m’escorte, officiellement Un rendez-vous. » Lina semble encore attendre la chute de la blague, mais puisqu’elle ne vient pas, me demande « Qu’est-ce que tu racontes ? » Mais quoi ? « Quoi ? » Je l’ai dit deux fois, je ne comprends pas ce qu’elle ne comprend pas. Teddy, un peu d’aide s’il te plait ? « Tu as été invitée. » elle me dit avec une évidence précipitée mais ferme, prenant une précaution pour ne pas être vexée. « Oh je sais, et j’ai adoré y aller avec vous, je- » - « Nous ? » Mais... « Oui. » Vous. Nous, quoi. Mon amie, figure soudaine de calme, avec son chignon relevé n’importe comment qui lui donne l’air d’avoir été travaillée par un artiste au génie controversé, prend une inspiration avant de me regarder droit dans les yeux. Deux mains liées en prière sous le menton, elle me dit  « Cherry. » et je me concentre pour lui donner toute mon attention. « Lina. » Le bleu foncé est définitivement sa couleur. « Avec qui tu penses être allée à notre bal de promo ? » Hein ? La pauvre, elle déconne complètement. « De quoi ? » Ses grands yeux se sont resserrés tout autour de moi. Elle est concentrée, et sait déjà où elle nous emmène tandis que je gueule sur la banquette arrière qu’on y voit vraiment que dalle avec ce foulard. Elle n’en démordra pas. « Fais-moi plaisir, réponds. » C’est fou quand même, comme question. Elle s’en souvient comme moi, on y était ensemble. Un peu inquiète de savoir qu’elle ne me croit pas capable de m’en souvenir, je lui dis « Et bien Titty, Gigi et toi. » Et ceci semble l’agacer un peu. Lina secoue la tête, soufflant pour elle : « Mais comment. » avec une sincère curiosité et je m’interpose dans son aparté « Comment quoi ? » J’ai envie de rire, tant la conversation me paraît absurde. Je me sens suspendue entre deux sensations distinctes, la première, incrédule, attend que la plaisanterie prenne forme tandis que la seconde, plus réaliste, est rivée les deux pieds sur terre, consciente d’être inconsciente. « Comment est-ce que tu tournes le dos à tes propres souvenirs comme ça ? Ça m’échappe. » De quoi ? « Mais non. » Je me souviens de tout, cette soirée-là. « Riri, tu y es allée avec Gigi. » Quand même, je sais, je ne suis pas devenue intolérante au lactose. Évidemment qu’il y avait Gigi. « Oui, et vous deux. » Elle acquiesce mais rajoute « En couples. » et je corrige « En groupe. » Une légère panique agrandit l’iris de Lina et teinte sa voix d’une hystérie douce mais perceptible. « Il t’a fait sa demande, il avait une fleur de cerisier dans sa poche. Il a refoulé tant de filles ce soir-là. » Non, je m’en serais souvenue. « Tu dois confondre avec un autre bal de promo. » J’entends sa langue qui tique contre son palais. « Mais à quel point es-tu aveugle ? » Elle le dit comme si elle en était urgemment soucieuse, elle me fait penser à une mère qui ne se serait aperçue qu’au bout de deux mois que son enfant ne montait pas tous les matins dans le bus mais dans une camionnette blanche. Son tourment contagieux me secoue un peu, je lui avoue. « Je ne m’en souviens vraiment pas de cette façon. » Lili s’adoucit sur un nouveau refrain de la chanson festive. Elle me dit « Je te crois. » sans condition.
Le beat mélodieux et les cuivres joyeux enchantent la pièce tant que l’air. Lina et moi nous laissons faire. Sa position change et elle se détend dans son siège, comme un addict près à recevoir sa dose. Par la musique, une brèche s’ouvre sur le passé et le souvenir d’une nuit particulièrement heureuse.

Se tenir à l’extérieur du gymnase, entourée par mes amis, au crépuscule de cette journée printanière, était semblable à l’idée que je me faisais d’une aventure intérieure à bord du bus magique. Nous allions tous entrer dans un corps humain, et il s’agissait du mien. J’avais passé tant de temps et m’étais dédiée si fort à la décoration et l’atmosphère de cette soirée que la dévoiler à l’école entière me donnait le sentiment de leur montrer mon âme à nue. Je m’offrais au jugement des autres à qui j’avais, plus que tout, l’envie de faire honneur. J'espérais que chaque détail leur plairait, que le moindre choix aiderait à faire du soir un enchantement dont le souvenir perdurerait toujours.
Le bal et ses murs n’avaient plus aucune surprise en réserve pour Gigi qui m’avait aidée, auprès de son oncle, à tout mettre en place. Il avait ajouté une farandole de suggestions qui m’avait époustouflée, complimentant chacune des idées approuvées par le club des fêtes qui, l’heure des préparatifs venue, avait perdu la moitié de ses membres et ne laissait que deux personnes à commander. Ma vision si claire fut rendue possible grâce à l’inventivité d’Alex Wallace, qui était parvenu à faire entrer un arbre superbe, pièce maîtresse de ma forêt enchantée, à l’intérieur de la salle. « Il faut qu’il reste vivant. » je lui avais dit, fébrile, quand il avait accepté de me donner de son temps « Pour qu’ensuite, on le replante. » Il avait acquiescé « Ashley ne le voudrait pas autrement. » et je l’embrassais sur la joue avant de lui apprendre avec précipitation que, dans ce cas, il m’en faudrait aussi un pour dehors et un autre pour l’entrée merci beaucoup. J’avais décampé en rifougnant, la poitrine gonflée par l’image de ce grand homme prêt à n’importe quoi pour sa fille et remplir ses yeux d’étoiles. Il avait tenu sa promesse et un jeune arbre aux branches généreuses nappées de lumière nous attendait à l’intérieur de la pièce dont le cœur festif battait déjà tandis que nous approchions. Des battements sourds, jumeaux de ceux qu’abritait mon buste drapé dans ma robe couleur champagne, nous parvenaient depuis l’entrée féérique et je serrais mon emprise sur le bras de Teddy tandis que nous arpentions le chemin boisé où perlaient des fleurs blanches sous les arches brunes et le sable immaculé. Tout s’orchestrait à la perfection ; le résultat, sublimé par les attentions d’Alex et Gigi, me dépaysait tendrement. J’eus le sentiment d’entamer une promesse avec l’amour, la vie et le temps. Et les pulsations féroces de la musique en se faisant plus claires ont excité le moindre de mes sens. « Ça sent si bon. » j’avais dit à Teddy dont je pressais la chair avec mes ongles. Il lui fallait se baisser pour ne pas heurter les œuvres tressées qui fleurissaient partout. L’émotion me faisait m’accrocher à son bras de toutes mes forces. Une magie sans nom s’épanouissait dans mes émotions. La folie du travail m’enivrait, aggravant mon euphorie naissante et je me suis entendue chougner « Il y a même des fougères. », achevée par le détail. Je jetais un regard et un baiser par dessus mon épaule, à l’intention de Gigi qui faisait le chemin avec Lina, tous deux étourdissants dans leurs tenues de gala. Teddy, au bras duquel j’étais suspendue, toutes griffes plantées dans les muscles, fit un geste ample et mes pieds quittèrent le sol sans résistance. Je pouffais, accrochée à mon ami comme un ouistiti. Il ne me reposait pas en arrivant aux portes de la salle dont la vision d’ensemble m’aurait fait chanceler si j’avais touché terre. C’était incroyable. Je cherchais sans plus attendre la réaction de Teddy et, baissant gracieusement le bras, il me rendit au sol en souriant puis dit « Gnihihihi. » pour me devancer. Je sautillais en applaudissant. Gnihihi, en effet.

J’avais passé ma soirée à déambuler d’un moment privilégié à l’autre, en pantin enchanté sous les vapeurs des basses et des lumières. Il me semblait, pour la première fois, véritablement profiter du présent. D’y être ancrée, entière, tête et cœur en phase sur l’instant sans m’inquiéter des rêves en face. Je vagabondais d’amour en prière, sereine dans l’abandon et avais retrouvé Lina, renversante dans sa tunique noire qui alliait le masculin de son large pantalon capé et le féminin de son bustier en dentelle, près des boissons déposées sur une longue table tapissée de mousse. Il était tôt et personne ne s’était encore aventuré à danser. La surprenant avec douceur, j’arrivais dans son dos pour poser ma tête sur son épaule et murmurer « Je ne boirais pas, si j’étais toi. » avant de poser un baiser sur sa joue que je sentis bouger tandis qu’elle se bombait d’un sourire. Elle s’était tournée, le parfum de ses cheveux accroché au mouvement. Elle avait un air enfantin quand elle me dit « Est-ce que je suis sur le point d’apprendre quelque chose d’excitant ? » J’eus le sentiment de lui balancer mon tout premier flagrant délit quand j’approchais de ma future reine de la Police pour lui dire sous le ton de la confidence : « J’ai vu Jimmy mettre quelque chose dans le punch. » puis reprenait d’une voix normale « Alcool ou laxatif, telle est la question. » J’imaginais sans mal Jimmy, assis sur le bord de la scène musicale, contempler notre belle forêt consumée par les flammes d’une diarrhée qui la ravagerait comme la Rome éternelle. Mais Lina, déjà bien mieux informée, m’apprit que « C’était des épices. » J’avais eu un moment de recul, surprise. « Des épices ? » Je doutais tant de l’information que de mes capacités auditives. Elle ne semblait pas en revenir non plus. « Il dit que le goût n’était pas assez, je cite : nuancé. » Je... « Oulah. » Lina, qui avait déjà insisté sur le dernier mot, le reprit d’une autre voix « Nu-an-cé. » Seigneur dieu. Il touchait donc à la drogue. « Il a aussi dit qu’il gardait l’alcool là où il fallait : près du cœur. » Je sentais mon cœur à moi s’alléger, sans même l’avoir d’abord senti plonger. Cela ne pouvait signifier qu’une chose. « Il a une flasque dans la poche ? » Les yeux clairs de Lina errèrent une seconde sur une pensée, puis elle dit « Deux, il me semble. » Une pour chaque main, je me dis, songeant qu’il aurait répondu une pour chaque autre chose. « Tu me rassures tellement. » je lui soufflais en serrant ses doigts dans les miens. Aucune de nous ne s’aventurait à prendre un verre et c’est en se détournant de ses concoctions de sorcière que nous avons assimilé, un instant, la vue de la foule jeune et animée. Au bout d’un moment, elle me dit entre deux chansons « Je crois que je n’avais jamais vu Gigi aussi heureux. » et je suivais son regard pour le trouver auprès de Teddy et quelques uns de nos contemporains. « C’est parce que t’étais pas là quand il a eu sa première console à Noël. » Je ne savais pas que les garçons avaient des cris si perçants, jusqu’à l’apprendre sous ce sapin. Lina rit et je fondais dans un sourire. Gigi rayonnait, sur son 31. Il avait discipliné sa crinière brune qui rendait toute l’attention à son délicieux visage de jeune homme et assumait l’allure confiée par son costume avec un aplomb déconcertant. « Alors ça ne vient pas que de moi, il est magnifique, ce soir ? » je demandais à Lina qui approuvait d’un « Mmh. » en me regardant moi le regardant lui. J’étais époustouflée de lui trouver une assurance nouvelle qui le rendait, princier, le gouverneur de mes attentions. Il n’avait rien à envier au charisme de Teddy, ni aux charmes de Bash qui nous chaperonnait et que je vis tremper un petit doigt dans le punch avec méfiance. Je serrais la main de Lina pour l'entraîner derrière moi, à la rencontre de nos hommes. « J’ai bien fait de l’épouser avant qu’une autre me vole l’idée. » Dix ans ce mois. Dix sur l’échelle de Cherry Ford. « Époustouflant. » New highscore.

Sous le ciel de la canopée nocturne, tout semblait secret, précieux et éternel. Rien ici n’aurait su être impossible. Et tandis que dansaient les lumières dans un ballet indolent à l’infinie douceur au-dessus de nos têtes, les corps des autres, eux, se mouvaient peu tandis qu’ils s’accueillaient encore, se familiarisant avec les lieux. Je jetais un regard au groupe sur scène, qui ne semblait pas s’inquiéter pour l’instant du vide sur la piste de danse. Ils s’amusaient avec le décor, avaient entouré leurs instruments de lierre et de fleurs blanches. J’avais accroché l’épaule de Teddy, de loin mon arbre préféré, et me félicitais de porter des talons vertigineux pour pouvoir lui confier, moins éloignée de son visage qu’à l’accoutumée, « Je crois que j’aime terriblement les forêts. » Teddy a sourit jusque dans ses yeux, là-haut près des dieux, et m’a répondu « Mais qu’est-ce que tu n’aimes pas ? » pour relever la nature accommodante de mon cœur épris de tout, tout le temps. Je choisis d’y entendre une réelle question et fouillais dans la seconde les recoins de mon esprit à la recherche d’une idée, d’une piste. « Hum… Je… At-heu... » Gigi ne faisait rien pour m’aider. Et si j’amais tout.. ? C’était affreux, était-ce affreux ? Teddy avait craqué un sourire rayonnant et j’y vis une émotion qui me prit aux tripes quand il dit « Le monde a besoin de plus de toi. » Ce grand fou. « Parce que j’aime les fougères ? » Je me dandinais sur place, à l’air entraînant d’une nouvelle chanson. Si j’étais occupée par mes pieds, je ne pouvais pas pleurer. Les compliments de Titty trouvaient toujours une place particulière chez moi, ils avaient une force qui occupait beaucoup de place. L’entendre dire ces choses me donnait le sentiment d’être, à genoux, reconnue par un seigneur qui, avare en mots, comprendrait toute la mesure de ceux qu’il déclamait alors devant la foule. Ma référence m’adoubait. « Tu es si spéciale, je jure que tu as un super pouvoir. » Je faisais une moue troublée, cueillant mes émotions à la pelle. Je poussais sur ma voix, tant pour masquer le tremblement que pour couvrir la musique vrombissante « Tu en as un, toi aussi. » Son œil avait frétillé. « Ah bon ? » Je me mettais sur la pointe des pieds malgré mes talons, dressée par l’habitude. La bonté transparente sur son beau visage nourrissait ma tirade tandis même qu’elle grandissait. « Tu illumines chaque pièce dans laquelle tu entres. Tout le monde est plus heureux, plus léger, rassuré… meilleur, quand tu es là. C’est comme si, soudainement, on savait où aller. » Il sourit en haussant un sourcil. « Où ça ? » Une évidence. « Près de toi, souvent. » Je sentais, gronder comme un volcan, son rire qui commençait à émaner de sa poitrine de géant. « Est-ce que ça fait de moi un Super Aimant ? » J’y réfléchissais sincèrement. « Une boussole, je dirais. » puis balayais le reste de la main « On trouvera un expert pour avoir un super-nom à ta hauteur. » Sherly s'en chargerait avec entrain, si elle ne lui en avait pas déjà donné un. Et Teddy me déséquilibrait pour m’enlacer. J’aimais d’avantage les vibrations de la musique, telles qu’assourdies par la barrière de son corps chaud. Elle me paraissait triste, sans personne pour profiter d’elle. Quand les bras de Titty me rendirent ma verticalité, s’attardant sur les miens pour me stabiliser, je lui demandais « Est-ce que tu as remarqué que les fêtes avaient tendance à ne commencer que lorsque tu arrivais ? » Je montrais alentour avec des allures de tragédienne. « Sans toi, rien ne se passe. » C’était déprimant. « Et qu’est-ce que vous faites, quand je ne suis pas là ? » La seule  chose que l’on sache faire sans toi. « On t’attend. » L’éclat de son rire fracassant a résonné dans les poitrines de chaque personne qui nous entourait à de moment-là. Et, m’ayant déjà comblée, il en rajoutait. « Tu veux connaitre mon secret ? » - « Désespérément. » À jamais notre professeur par l’exemple, Teddy s’est éloigné à reculons, les yeux fermés, ses bras et épaules dénoués par une grâce impressionnante pour quelqu’un de sa taille. Après avoir craqué un sourire à nos camarades musiciens, il fit quelques pas masculins que j’imprimais dans ma mémoire devenue coffre aux trésors. Il a écarté les bras alors, et, depuis la foule tournée vers lui, j’entendis brailler « Qu’un seul danse et les autres suivront. »

Ce soir-là je découvrais la musique divine, la musique vivante, la musique magicienne. Elle usait d’ondes virtuoses pour se faufiler de coeur en corps, serpenter entre creux et montagnes en surfant sur nos jeunesses comme tant de vagues à l’âme. Elle me dirigeait de ses basses profondes, me guidait de ses aigus tremblants et je me régalais des gammes synthétiques mêlées aux chants des instruments. Je dansais, les muscles délassés par les tremblements graves qui secouaient la piste jusqu’à résonner dans nos jambes. Nous aurions aussi bien pu ne plus toucher terre. Je me souviens d’un instant où j’avais, assoiffée, attiré Gigi en marge du monde, et l’avais gardé pour moi près d’une table au-dessus de laquelle un arbre pleurait des lumières en cascade. Il avait quitté sa veste et j’avais découvert qu’il portait une paire de bretelles sur sa chemise blanche. Elles me faisaient un effet sur lequel je ne posais pas de nom, leur couleur sombre, pareille à un fruit rouge, était complimentée par les lueurs tout autour. J’enviais leur proximité à son corps et glissais mes mains sous le Y de son dos en l’enlaçant. Je lui dis « Merci pour tout. » et fondais quand il me rendait l’étreinte. J’étais sidérée qu’il sente aussi bon. Son odeur me rappelait celle de son père, dont la fraîcheur et le parfum enivrant paraissant injuste tant il en avait peu besoin pour me faire perdre mes moyens. J’ai dû lui dire, avant de prendre du recul et l’admirer encore un peu. Impuissante face à ce visage, je lui dis « Tu es tellement beau. » Ses yeux impossiblement clairs m’ont paru dorés quand leurs reflets s’accordaient à ceux que faisaient miroiter ma robe. Je touchais sa mâchoire ciselée dont le tranchant me fascinait toujours, puis son menton et son nœud papillon. Mon Gigi dit « Je voulais te faire la surprise. » et j’ai senti que mon sourire déjà grand avait encore de la marge. « Tu es parfait. Je suis folle de tes bretelles. » Je les touchais, légèrement obsédée par leur indéfinissable couleur qui rappelait celle des fleurs qui couronnaient mes cheveux. Je nouais mes poings autour du métal qui serrait les élastiques et faisais rebondir mes mains pour l’emphase quand je lui disais « Tu as remarqué qu’on est assortis ? C’est fou ! » Quelle coïncidence, tout de même. Gigi eut un rire court mais parut s’inquiéter un instant. « Pas tant que ça. », il me dit prudemment. Je ne comprenais pas et lui dit « Tu as raison. » pour ne pas gâcher le moment. Tiraillée par la soif, je me tournais vers le punch et lui dis « Jimmy qui ne trafique pas nos verres, ça c’est de la folie ! » Je ne m’étais toujours pas remise de l’affaire qu’était devenue l’Épices-gate. Craintive mais déshydratée, je me résolvais à partir vers l’inconnu. Je servais une louche à Gigi qui m’observait attentivement, certainement occupé à peser le pour et le contre de la confiance qu’il avait en son cousin. Nos verres en mains, je venais y fixer des fraises des bois sur les tranchants pour la décoration puis, ayant suffisamment retardé l’échéance, je plongeais mon regard dans le sien pour lui demander « Ensemble ? » Mon Gigi a souri et j’ai senti un battement de cœur m’échapper. Décidément, cette histoire de cocktail me faisait de l’effet. Puis il dit « Ensemble. » et j’attendais qu’il amorce le geste pour l’imiter. Je soufflais un coup puis pris une gorgée prudente.
S’il existait une île sauvage, inexplorée et ignorante de toute forme de douleur et que sur cette île vierge se trouvait un arbuste unique au monde, le seul à proposer un fruit de cette forme et de cette couleur… la boisson de Jimmy procurerait la même sensation que celle d’une fissure dans le fruit rare, laissant couler son jus sur des lèvres asséchées, à l’ombre d’un arbre à la sagesse millénale. « Je n’y crois pas. » C’est… tout simplement la meilleure chose que j’ai jamais goûtée. Je crois que j’ai fait des bruits pas catholiques. J’espère qu’ils ont été cachés par la musique. Gigi, lui, a fini son verre d’une traite, à croire qu’il n’avait jamais douté de sa famille. Une étincelle fière éclaire ses yeux noisettes. « Pas vrai ? » Je n’en revenais pas, et l’expression sur mon visage lui faisait savoir. « C’est délicieux. Et il n’a pas ajouté d'alcool bon marché. » Il a fait non de la tête. Il me paraissait encore plus grand que d’ordinaire, malgré mes talons. Il a acquiescé « Mmh. » en goûtant ce qu’il restait sur ses lèvres. C’était quoi, ce frisson ridicule ? Et puis je venais de couiner, non ? Peut-être qu’il y avait bien de l’alcool, finalement. « Il m’a dit que certains élèves ne pouvaient pas boire d’alcool, qu’ils avaient des “contre indications”. » il a fait des guillemets avec les doigts, pour reprendre les mots de Jimmy. Je plissais les yeux, ça ne lui ressemblait pas. « Jimmy t’a dit ça ? » Gigi a recommencé, disant « Mmh. » en léchant sa lèvre et j’eus envie de le bousculer pour qu’il arrête. « Jimmy Wallace ? » Il eut un rire qui n’aidait en rien à faire baisser la température. « Je pense pas confondre. » - « De tes Wallace Wallace ? » Il ne riait plus. « Il n’en existe pas d’autres. » Ah. Ça n’expliquait pas la soudaine prévoyance de Jimmy en tout cas. « Il doit être malade. » Gigi prit l’air complice de la confidence. « Il m’a dit : “Caleb prend des pilules pour le cœur, je suis pas un connard.” » Je riais en l’entendant l’imiter. Qui c’est, Caleb ? Oh et puis, ça n’a pas d’importance. Je levais mon verre. « À Caleb, alors. » Grâce à lui, j’avais goûté au meilleur cocktail de ma vie. Gigi s’est resservi avant de trinquer avec moi, disant « Qui qu’il soit. » et je reprenais « Kikil soit. » en rifougnant bêtement. Puis mon Gigi dit « Et à nos dix ans. » pour me fendre le cœur avec toute la beauté d’un fruit secret sur une île exotique. Mes genoux frétillaient. « Tu t’en souviens. » Il a haussé les épaules, l’air de rien, et je m’y jetais pour l’entourer de mes bras, reconnaissante et bouleversée. « Tu es parfait. » je lui murmurais avant de poser un baiser sur sa pommette. J’eus du mal à m’éloigner à nouveau, son odeur m’attirant toute à elle. Il me dit « Cherry - » mais je l’interrompais pour lui intimer « Ne change jamais. » Le savoir compter les années et se souvenir de tout, lui aussi, perturbait mon être d’une émotion pure et si vorace qu’elle ne laissait de place qu’à elle et une forme intense d’amour gonflant ma poitrine d’une insupportable tendresse qui m’aurait mangée crue si j’avais laissé l’agonie faire. « D’accord ?... » Il commençait à sourire, ne comprenant pas. « Je ne plaisante pas. » Je sentais mes yeux naviguer entre les deux siens. « On le dit souvent, comme ça, à la légère “ne change jamais”, aux gens qu’on aime. » et ça finit par ne plus avoir l’air de rien. « Mais tu es précieux, Gigi. » Je mourrais, si je te perdais, si tu n’étais plus toi. « Ne change jamais, le monde ne s’en relèverait pas. »

Revenir en haut Aller en bas



Cherry Ford

Cherry Ford


Messages : 322


» cherry blossoms × lina « Empty
MessageSujet: Re: » cherry blossoms × lina « » cherry blossoms × lina « Icon_minitimeMer 11 Nov - 2:00


Tandis que nous dansions, un pacte semblait lier notre génération. Comme si nous nous étions promis, entre nous, de ne plus nous soucier du temps. Nous ignorions les vices de l’horloge et je comprenais pourquoi aucun casino n’en perçait les murs. Nul n’avait l’envie de penser à l’heure ni d’entrevoir les premières lueurs du jour. Peut-être qu’en l’ignorant de chœur, demain ne viendrait pas. Et si l’on avait jamais à se dire au revoir, si nous faisions corps ? Nos chemins dispersés attendraient la légende de l’aube, distante et sans dévot, avant de nous séparer les uns des autres. La présence de Jimmy posait un présage bienveillant sur nos promesses de réunions. Quand il dansait, presque insaisissable dans la foule déchaînée, il nous rappelait que ni l’absence ni le temps n’avaient d’emprise sur le mécène des bons temps. Je ne le vis pas venir, quand, sur la piste, il s’était approché pour me dire « Positivement choquant ! » par dessus la musique. Je le croyais par-dessus mon épaule droite mais j’avais dû tourner sur moi-même pour le trouver de l’autre côté, un sourire triomphal sur le visage. Je lui disais « Quoi ? » pendant qu’il faisait une vague avec ses bras. Il continuait à danser, tout occupé par ses gestes dont l’aléatoire et l’imprévisible avaient un excellent rythme pour égal. « Ce soir. » Je regardais autour de moi en suivant son regard instable. Oh, le décor ? Je craquais un sourire immense et criais un peu « Je suis contente que ça te plaise ! » pour me faire entendre. Il fit une pirouette et j’éclatais de rire. « Je parlais de toi, mais la salle n’est pas mal non plus. » Je me suis sentie rougir et, un peu gênée, lui dis « Ça pourrait être le nom de ton punch. », ce qui lui fit lever un sourcil. Puis l’autre. Puis de nouveau le premier… Je levais les yeux au ciel avant de lui rappeler « Positivement choquant. » Jimmy a claqué des mains, une expression ravie sur son visage tandis que le geste accompagnait radieusement la musique. « Ah ! Alors ? » Il était déjà parti sur autre chose, ses index pointés vers le plafond, quand je m’approchais pour le féliciter. « Tu es talentueux ! C’est un régal. » et son manque d’humilité dans les gestes suivants me fit fondre d’une chaleureuse exaspération. Je riais sous les vibrations des basses et sa danse de la victoire. Au bout d’un moment, j’avais tapoté son épaule pour récupérer son attention et lui dis « Qui c’est, Caleb ? », trop curieuse pour attendre. Il avait pris le temps de finir son rituel indéfinissable avant d’approcher et de m‘apprendre : « Un première année. » Je fronçais les sourcils en dansant auprès de lui. « Tu as des amis en première année, toi ? » - « Juste parce que je veux pas le buter, ça fait pas de lui mon pote. » Je me suis sentie rire sans que le son ne me parvienne toutefois, perdu dans le reste du délicieux vacarme. J’adorais la sensation. Intriguée, j’étais accaparée par le mystère. « Comment tu es au courant pour son cœur ? » Le sourire machiavélique de Jimmy a poussé tous mes instincts à me détourner de lui. Je lui dis « Oh non, je n’ai plus envie de savoir. » pour mon propre bien. Il a hoché la tête en ricanant et me prit la main pour me retenir et me faire tourner devant lui, disant « Comme tu veux. » en me regardant sourire. Je le laissais me faire basculer puis eut un râle joyeux avant de lui avouer ma défaite. Arrh ! « Mais j’ai vraiment envie de savoir maintenant. » Il a déplacé une mèche de mes cheveux pour me parler à l’oreille et j’entendis « Sa mère me l’a dit. » sans lui trouver le parfum captivant de Gigi. « Tu m’as fait peur. » Je m’attendais à pire. Il a semblé retenir un sourire avant de rire toute de même, pour lui, et de dire, les yeux fermés : « Elle parle beaucoup, après. » Je ne suivais pas. « Après quoi ? » Il a ricané, mon attention toute à son corps relaxé qui ondulait sur la musique qui parut le masser de ses ondes bienfaitrices. Je n’ai compris qu’en voyant ce qu’il faisait de ses hanches. Seigneur tout puissant. « Jimmy ! » J’associais un geste à ma remontrance et lui donnait une tape sur le torse. Il avait dix-huit ans ! Il levait les bras en reddition. Un air innocent sur le visage, il dit un peu fort « Elle est prof de yoga. » pour se défendre. Mais ! Arrh. Qu’est-ce que ça change ? J’avais dû faire une grimace en lui disant « Le pauvre Caleb, est-ce qu’il sait ? » puisqu’il fit une moue touchée, pleine d’une compassion exagérée, quand il portait une main à sa poitrine. Jimmy dit doucement « Son cœur ne peut pas prendre un tel choc. » et j’amorçais un son attendri quand  il a ajouté plus bas encore « Sa mère, par contre… » Allez, c’est tout pour moi. « Quelle horreur. » Je m’en suis voulu de sourire en tournant les talons et m’en allais danser dans des contrées plus sûres. Loin de lui. Où était Gigi ? Lina ? Teddy ? Je disais « Au revoir. » à Jimmy qui essayait de me retenir en mimant une pêche à la ligne. Me voyant partir toutefois, il a jeté sa canne imaginaire, déçu le temps faramineux d'une seconde. Je le regardais une dernière fois par-dessus mon épaule et le découvrais en train de faire n’importe quoi, une petite danse qui mêlait bras ballants et un déhanché lui donnant l’air de s’essuyer avec une serviette. Je levais les yeux et me tournant l’entendis crier « À Caleb ! » pour moi ou pour le reste.

“À Caleb”.  Les mots étaient transmis comme le secret d’un rite. Ils réinventaient la sémantique et, s’improvisant synonymes, devinrent rapidement un code entre nous. Ils se répandaient, comme animés par leur volonté propre et devinrent à eux seuls l’éloquente alliance d’une promesse et de notre reconnaissance. Par lui, nous faisions le serment de nous épanouir, sans alcool, dans le moment. Et, grâce à lui, Jimmy nous ravissait de son invention positivement choquante. Je retrouvais sa sœur, mon Ashley, au pied du podium aménagé tout près de notre entrée sur lequel nous attendaient un photographe et un décor condensé de ma forêt enchantée telle qu’on aurait pu la mettre en bouteille. L’atmosphère ici nous promettait qu’un petit elfe pouvait faire son apparition à chaque instant. Ashley et moi nous étions préparées chez elle ensemble. Je l’avais maquillée avec une délicate attention, ses traits naturellement éblouissants détenant déjà les secrets d’une lumineuse élégance. C’était trois fois rien, mais elle me paraissait, plus femme, être sortie de l’un de ses contes. J’avais cligné des yeux frénétiquement, piquée par une vive émotion quand je lui trouvais une frappante ressemblance avec les photographies de sa mère. Je redoutais les réactions de Jo et d’Alex. Plus encore s’ils apprenaient que je lui avais confié le préservatif que ma mère nous remettait chaque fois que nous sortions maintenant. Elle m’avait dit « Je n’en ai pas trouvé à l’orange. » et je me demandais où Ashley allait le cacher, quand elle s’était proposée de me montrer sa tenue. « J’ai respecté les consignes ! » elle m’avait prévenue, excitée, et je trépignais d’impatience. Je ne doutais pas du fait qu’elle avait à cœur d’honorer le thème de la soirée et son code couleur. Pas une seconde. Pourtant, je me retrouvais dépourvue quand, avec une sobre révérence, elle était réapparue dans sa chambre. « Tada. » avait-elle sourit en écartant infiniment les bras, l’air de dire “Voilà, c’est moi” et je ventilais mes cils pour y piéger des larmes mais ne pus rien contre les picotements qui s’aventuraient sur le bout de mon nez.
Je m’approchais d’elle et lui signalais ma présence en prenant sa main libre doucement quand je m’aperçus qu’elle était perdue dans la contemplation des décors autour d’elle. Son rendez-vous, princier dans son costume, était en grande conversation avec le photographe qui avait l’énorme défaut de ne pas être le frère d’Ashley. J’allais lui parler de lui, quand elle rendit son étreinte à ma main et me dit, émue « C'est magnifique. » Je craquais un sourire immense et me rendis compte, en prenant la pleine mesure de mon soulagement, que j’avais jusqu’ici attendu son avis avec impatience. L’ampleur du sentiment me rendit ivre de bonheur et je lui dis « Merci ! », émoustillée par l’assentiment de l’une des personnes les plus importantes au monde. Ashley, les yeux vers le ciel et toutes ses lumières, me dit « Moui... » et je m’inquiétais en décelant le petit trémolo dans la descente. « Oh. » Elle allait pleurer. Et si elle pleurait, j’allais pleurer et qui viendrait nous sauver de la vision insupportablement floue de notre Principal beaucoup trop habillé ? Sous le charme, Ashley me dit « J'ai le droit de pleurer avec le maquillage ? » et je bondissais « NoooohoON ! » pour la préserver du carnage. « Attends, je souffle. » je m’éxécutais en le faisant doucement sur son visage. « Ça aide ? » Est-ce qu’elle était ventilée ? Calmée ? Rafraichie … ? « Qu'est-ce que tu as bu ? » J’éclatais de rire, surprise. La question était sincèrement curieuse et avait eu le mérite de détourner son attention. Je méditais un court instant sur les fruits dans le cocktail pimenté par Jimmy. Elle en avait un verre, plein, dans la main droite. Regardant alentour, je lui dis doucement « Le punch qu'a trafiqué ton frère. » et repartais dans un nouveau rire sous la vision d’une Ashley parfaitement horrifiée. « Non mais attends, il n'y a pas mis d'alcool mais... des épices. » je voulais la rassurer mais elle attendait la suite. Elle a fait un geste avec les bras, pour me délier la langue puis dit « Des épices qui donnent des... allergies ? » en attendant que j’acquiesce. Je faisais une grimace dépourvue. « Non, juste du goût. » et gesticulais incontrôlablement. Ma bouche, pleine de rien, fit un bruit qui devait fort ressembler à un pet de foufoune. Je riais toute seule. Je me retrouvais souvent dans cet état avec elle, une transe exaltée et euphorique, rendue spéciale par un mélange d’humour et d’émotions fortes. « Et pas d'alcool ? » Je rifougnais en voulant la bousculer tandis qu’elle me taquinait, mais ratais largement son épaule « Gnon ! » Ashley, aka Nikki Nutzz dans le milieu de l’espionnage international, a plissé les yeux alors « Mmh mmh. » et je haussais les épaules. « Enfin, j'ai pris celui qui est interdit à Caleb alors je ne suis pas trop sûre. » N’écoutant que son courage, Ashley, Reine des Lions, prit une longue gorgée du verre mystifié par son frère. Je la regardais faire, sereine dans son aplomb, et me sentais privilégiée de pouvoir l’appeler mon amie, depuis toujours. Et quand elle dit avec fierté « Ne jamais sous-estimer le pouvoir d’un Wallace. » j’ai pensé : pour toujours. Elle avait raison, les Wallace étaient tout-puissants. Ashley la première. « Surtout quand il est serré dans une robe de princesse. » Je montrais vaguement toute sa personne, devenue trouble à travers le scintillement de mon regard ému. « Tu es sublime, Ash. » Elle sourit et je me promettais de lui répéter, pour que le compliment tienne. Gênée, elle a marmonné un « Pfrtmessi… » et je bondissais sur mes talons, lui disant avec mes grands airs de basse-cour « Si Jared n’était pas sur le point de te demander en mariage, je te capturerais pour t’envoyer à Sam. » Il était vieux, mais ce qu’il était beau ! Avec ses mains, son humour et le regard bleu troublant des Austen, il avait la panoplie complète. Il m’avait quasiment vue grandir mais- et sa mâchoire et son sourire et ses cheveux ! En fait, je regrettais d’avoir proposé, je le voulais à moi. Je revenais sur ma générosité « Même s’il faut avouer qu’il y a beaucoup d’alchimie entre nous. » et m’aperçue qu’Ashley avait profondément rougi. Gnihihi. La coriace ne se laissait pas faire, elle me remit à ma place et dit « Oui enfin ce n’est plus une référence, Willie Wood, tu aurais de l’alchimie avec une poignée de porte. » Je pouffais. Il était classe quand même, mon nom d’espionne. Bon elle pouvait avoir Sam pour ce soir, mais restaient encore les cas de Kiki et Kikingsley. J’avais un type. Les sexy beasts. « Où est Gigi ? » Voilà qui sortait parfaitement de nulle part. Je l’inspectais en silence avant de conclure, toute séduite par son air innocent, qu’elle avait besoin de lui pour une affaire familiale. Probablement. « Mmh… il était là il y a un instant. » je lui apprenais en cherchant autour de moi. Puis haussais les épaules, sensiblement déçue quand je ne le trouvais nulle part. « Vous êtes très beaux, tous les deux. » Je lui souris, heureuse de pouvoir parler de lui sans l’avoir mentionné la première. Je lui disais « Mais oui, il est si beau ! » et Ashley disait « Tous les deux. » J’avais entendu la première fois mais me dit qu’elle insistait pour me faire profiter du compliment. Je faisais un bruit attendri et lui dit « Merci. » - « Ensem- » Mon regard attrapé par le photographe qui l’attendait me fit m’exclamer « Ne crois pas que j’en oublie Kiki pour autant. » en bondissant avec excitation. Ohlala, Kiki. Du calme, mon coeur. Tout doux, les genoux. « Madame Kiki Wallace ! » Hein ? Hein ? « Qu’est-ce t’en dis ? » Je souriais victorieusement. Ça m’irait comme un gant. Que je ne porterais pas pour exhiber l’alliance, évidemment. Choisie par cet animal de Kiki... Ashley dut profiter de la diversion puisqu’elle n’était plus devant moi quand j’avais recouvré mes esprits. Elle avait fait quelques pas en direction de Jared, une étincelle dans le regard lorsqu’elle me dit, gagnant la manche « Que ça ira très bien à sa femme. » Et ces yeux, cette peau, ces cheveux, ces mains, ce corps, Nikki Nutzz, ce corps ! « Oui. » Elle ne pouvait pas comprendre.

Bientôt, tout serait terminé. La nuit, le lycée. L’obscurité ressemblait à s’y méprendre à la fin de nos enfances. De loin, on aurait pu les confondre. Il nous faudrait, avec l’aurore, ressusciter nos rêves comme l’on assiste au retour du soleil. Suivre un chemin qui, souvent, dévierait de ceux qu’emprunteraient nos amis, nos camarades et nos alliés. Les liens ainsi défaits iraient tisser une toile drapée sur l’étendue du monde, trop vaste pour que ses fils les plus fragiles résistent aux périls du temps et de la distance. Mais certains avaient de la chance : un phare dans l’obscurité, perceptible malgré le chahut du voyage ou les outrages des vents. Ils avaient un destin tout tracé, parfois depuis longtemps, et laissaient leurs corps seuls les mener à leurs vocations. C’était le cas, indéniablement, de notre idole. Notre royauté, notre symbole. Notre bien nommé Kingsley Doyle. Je pensais à lui lorsque je me faufilais, seule et discrète, dans le tunnel boisé par lequel nous étions entrés plus tôt. Mes pieds nus, endoloris par le bon temps et mes errances, confiaient leur rougeur au sentier de sable blanc. Sans un bruit aucun, je me dirigeais vers l’air frais du soir, sentant contre mon dos les pulsations de la musique qui grondaient comme tant de réverbes sur l’eau. Je pensais à lui parce que, derrière moi, son prénom animait toutes les conversations. Je pensais à lui puisqu’approchait l’heure de son avènement. Nul doute n’eut ce soir-là la folie de nous prendre et nous laisser envisager, ne serait-ce qu’une seconde, qu’un autre que lui irait ce soir chez lui valser sublime, populaire et couronné. Kingsley était un Roi né, doté d’un charisme, d’un cœur, d’une personnalité et d’un esprit sans faille. Mais il avait également l’audace d’être, intelligent, doublé d’un sportif sans pareil. Et, dans un monde sans égal, il avait la grâce d’harmoniser nos gammes. Toujours à sa place, il était l’incarnation de l’athlète, de l’étudiant et du fantasme idéal. Aurait-il été dessiné qu’il n’en serait pas ressorti si beau ni si bon. J’enviais la sécurité de son avenir, lui jouant pour une université lui ayant proposé une bourse inespérée à l’autre bout du pays tandis que l’y rejoignais sa brillante petite amie, qui s’apprêtait certainement à devenir, pour tous, notre majesté.
La fraîcheur du monde extérieur me fit un bien fou, régénérant mon souffle et mes sens. La présence de quelques personnes ne se faisait deviner que dans les ombres laissées par les lueurs des lumières dures. J’entendais leurs voix par chuchotements et me demandais si la musique avait pu me rendre sourde. Mes chaussures à la main, je soulevais l’ourlet de ma robe pour ne pas la piétiner et cherchais un endroit où me poser pour récupérer un instant, quand je l’aperçus, en marge du monde, assis sur un trottoir sombre. La vision de sa silhouette sans pareille, seule face aux ténèbres, causait en moi un sentiment étrange. J’avais soudain la sensation limpide de ne l’avoir jamais vu véritable seul auparavant. Nos précédents échanges avaient toujours eu lieu en classe ou entourés de nos camarades. Il avait une clique, comme des suivants, un entourage qui semblait s’alimenter de son seul charme. Quand j’approchais, silencieuse dans le noir, de son dos courbé, je sentais grandir le trouble dans mon ventre. J’eus froid, mon corps ainsi détaché de la foule et du vacarme de nos émois. Et puis j’ai vu naître les contours de son visage, s’approfondir les ombres sur ses cheveux et se mouvoir les lueurs bleues que laissaient onduler la lune sur son nez, son front et son menton. Kingsley paraissait méditer, ses mains entourées autour d’une cuisse qu’il avait étendue sur la route calme du soir. Nous n’étions pas assez complices pour le dire, nous n’étions pas suffisamment amis pour que je le sache, pourtant, j’eus la certitude que quelque chose le troublait. J’ai eu envie d’aller chercher Teddy alors, son co-équipier favoris, afin qu’il vienne lui parler. J’ai fait un pas en arrière, songeant “Il saura quoi dire”. Mais la voix douce de Kingsley Doyle a dit « C’est toi, Cherryne ? » et je me suis retournée pour lui sourire. Il prétextait chercher mon “vrai prénom” depuis quatre ans déjà. Je pensais à Teddy, qui saurait le distraire et chasser ses nuages. Je pensais à Teddy, qui aurait les bonnes manières, qui saurait quoi faire. Je l’invoquais, puis ayant songé “Que ferait Teddy ?”, m’approchais de Kingsley pour venir m’asseoir auprès de lui. « Mais bonsoir. » je lui souriais en posant mes chaussures. « Hey. » il dit comme s’il se réveillait et je blâmais le froid pour les frissons qui me parcouraient entière. « Charmant, cet asphalte. Je reconnais bien là ton œil d’artiste. » je lui disais en montrant d’une main raide l’océan de ténèbres en face de nous. « Quelle plus belle vue que le néant ? » Kingsley a souri et j’ai songé “Continue.” en trouvant ses fossettes parfaitement injustes. C’était ridicule. Il me dit « Dans le néant, il n’y a pas de distraction. » et je ne savais pas quoi répondre. « C’est vrai que c’est paisible. » Je regardais mais ne voyais pas. J’écoutais mais n’entendais plus. Mes oreilles assourdies diffusaient un bruit blanc dans le silence. Curieuse, j’ai pressé le bout de mon nez engourdi que j’imaginais tout rose. « Quoi ? » je plissais le front quand il hochait la tête en souriant. « Rien. » Il a aspiré quelque chose contre sa lèvre et je remarquais que ses mains avaient changé de place. Je me suis demandée si elles seraient beaucoup plus froides que les miennes. « Tu as fait un travail remarquable. » J’hochais un sourcil. « À l’intérieur. », il me dit en faisant un geste de la tête imperceptible pour désigner le gymnase derrière nous. Je lui souriais, il savait que je n’étais pas seule à m’en être chargée, tout comme il devinait que j’avais dû avoir le dernier mot à propos de tout. « Qu’est-ce que tu préfères ? » je le sondais sans m’attarder dans ses yeux noirs, faute de quoi j’aurais gloussé comme une pintade. Et Teddy n’aurait pas gloussé comme une pintade. Il fit mine d’y réfléchir et je me sentis sincèrement importante. Il avait cet effet sur les gens. Kingsley montrait le vide de son index tourné vers le ciel. Il lui fit dessiner un petit cercle. « J'aime beaucoup les lampions. » Je m’animais, heureuse qu’il ait nommé mon aspect préféré de la décoration. « Merci ! » Je souriais largement, songeant toutefois au fait que je ne l’avais pas encore vu danser à leur lumière. Je lui apprenais : « J'ai dû me battre, ça coûte cher. » J’ai fait une moue, comme si j’avais fait une bêtise, mais ne regrettais rien. Pas un centime. « J'imagine. » Héhé, j’allais m’en sortir. « On a autant de budget pour les décorations ? » - « Ha ha. » J’adorais son expression. « Non ? » Comment dire. « Disons que je te déconseille de redoubler parce que le budget accessoires de l'équipe de foot a pris un sacré coup. Ça va en recycler, du slip. » Kingsley a ri et je me suis sentie, légère, sur le chemin d’une mission accomplie. J’ai songé “Continue.” quand il me dit, presque inquiet « Tu sais qu'on porte nos propres slips ? » Je sentais mon monde se retourner. « C'est pas vrai ! » je raillais un peu pendant qu’il me charriait. Les slips, c’était des habits et les habits sur le terrain, c’était un uniforme. On leur donnait leurs uniformes. Logique implacable. À l’épreuve des balles. « Cherry-Lynn, sans plaisanter. » Mais pas à l’épreuve des étincelles dans son regard. « Et les jambières ? » je lui demandais en regardant ses longues et puissantes jambes. Il a dit « On nous les fournit. » et, quand même, mit fin au suspens. « Et bah mon Princesley, spoiler alert : ça va en recycler de la jambière. » Il a baissé les yeux avant de dire « Les miennes n'étaient pas neuves. » pour me contredire. Je le trouvais particulièrement irrésistible dans sa retenue et ne me sentais plus capable de cligner des yeux, quand je lui dis « J'ai l'impression que tu veux qu'on se batte un peu. » Son rire doux eut l’air d’une toux. « Pardon. » Il fit un pas dans ma direction, et dit avec un geste protocolaire : « Quel dommage pour les slips et les coquilles. » Je tapais sur ma cuisse, les yeux écarquillés. « Mon dieu oui, les coquilles ! » comme s’il s’agissait de la trouvaille du siècle. Je me sentais aussi impatiente qu’éveillée quand j’ai pris un souffle court avant de lui dire avec excitation « Vous les échangez ou pas ? » Kingsley me donnait l’impression d’avoir parlé une autre langue. « Excuse-moi ? » Les coquilles. « Après les matchs. » Il ouvrit la bouche pour faire cet air de “Aaah…” qui me fit penser à Gigi. « Bien sûr. J'en ai une dizaine dans ma chambre. » J’étais aux anges. « Je le savais. Tu les fais signer ? » Où est-ce qu’elles sont rangées ? Oh mon dieu, y avait-il des tailles différentes ? Pourquoi est-ce que Teddy ne me l’avait jamais dit ? « Cherryse... » C’était moi. « Oui ? » Avant qu’il ne réponde, mes yeux avaient eu le temps de parcourir son visage largement, au point de faire naître un sourire sur le mien. « Je te charriais, on échange rien. » J’ai dû souffler avant de prendre un air résigné. « Ainsi il choisit la bagarre. » et l’ai entendu rire quelque chose de délicieux. Kingsley essayait de m’instruire et commençais : « On échange rien parce qu'on a pas le... » Je tentais « Courage ? » Et ce rire-ci dû faire honte à la musique. J’ai songé “Tu y es arrivée.” en me sentant rougir. Kingsley m’a corrigé « Budget. » et j’égrenais mentalement toutes mes dépenses. Perspicace, je lui dis « Aïe aïe aïe. » avant de prendre un moment de réflexion. Ce serait peut-être mon héritage. Lui avait rempli la vitrine du hall de trophées tandis que, de mon côté, j’avais vidé les comptes. Je me demandais s’il serait utile de les rembourser un peu, quand je travaillerais avec mon père cet été. Mais décidais tout de même moins oui que non. « Ce sont de très jolis lampions. » m’a cajolée la terrible voix sucrée de Kingsley au bout d’un instant. Je lui apprenais « Il y en a plus de cinq cent... » et quand il a sifflé sa stupéfaction, je nous consolais. « Mais au fond, que sont les accessoires quand on a le talent ? » Il sourit, diplomate attendri. « Tout à fait. » L’école s’en remettrait. Elle aurait le temps, à défaut d’avoir la chance de voir une seconde étoile telle que lui s’échouer chez nous pour y faire ses jours. Elle continuerait, tout comme nos cœurs éternels, nos amours immuables. Rien ne changerait jamais. Mais, me disais-je, heureusement qu’elle avait déjà payé notre séjour au Canada la semaine prochaine. Elle ne pouvait plus nous l’enlever. Ne s’y passerait que des rêves. Désormais complices, je scellais un pacte avec Kingsley dans les ténèbres. Je lui dis « À Caleb ? ». Il sourit, l’air de trinquer à nous. À lui, à moi. « À Caleb. » Et au destin des rois.

La chanson est passée, je ne saurais dire depuis combien de temps. Les échos de son enchantement, épris de l’air qu’ils ont modifié comme l’on se réinvente les saisons, sont allés s’immiscer dans nos souvenirs pour les cueillir et les poser, ici, délicatement, entre nous. Le passé et aujourd’hui s’épousent contrastés, entremêlés, amoureux. L’union rare n’arrive pas sans bagage. Elle les a déposés ça et là, jonchant nos cœurs, nos têtes qui s’improvisent alors les candides réceptacles de son offrande sans luxe, sans choix mais pas sans dommages. Je n’ai aucune idée de l’effet qu’ont eu sur Lina les images de ce soir-là, ni ce que son cœur a choisi d’en garder. Lorsque je la regarde, par-dessus l’océan qu’est devenu le corps de Teddy entre nous, je la trouve immobile. Elle est figée, ses yeux dans le vide ne laissant rien paraître de ses songes. Si son front n’était pas creusé d’un pli, pareil à une entaille, j’aurais l’instinct d’aller chercher son pouls. Je l’observe un instant et me sens contrôler ma respiration pour en faire, discrète, son alliée dans le temps. Que rien en moi n’ébranle ce qui la suspend ici, entre deux âges, dans cet endroit sans couleur que l’on arpente d’ordinaire ailleurs, bien à l’abri du monde, immergée dans nos mirages qui n’ont, alors, rien à envier au désert. Je ne m’imagine pas parler, quand elle se meut et me surprend, prête à le faire. Lina sans inspirer me dit « Parfois, je me demande si tout est de ma faute. » J’ai l’instinct de la contredire, sans information supplémentaire. Simplement de la rassurer, de me jeter corps et âme de son côté. Mais elle me devance, redressée et plus alerte, ses yeux toujours perdus dans le vague. Elle poursuit « Je te l’ai dit, je me souviens. Je t’ai dit “Pour qu’une histoire finisse bien, il faut qu’elle ne finisse pas du tout.” » Je ressens une étrange vexation, à l’entendre se moquer d’elle-même d’une voix geignarde. Elle m’a regardé vaguement, quand elle m’a mentionnée, avant de lever les yeux au plafond puis de retrouver son point dans la distance. Elle dit à nulle part « Bah voilà, notre histoire n’est pas terminée, n’est-ce pas ? » avec une rudesse nouvelle. Mes instincts me hurlent d'intervenir mais mon portable, en recevant un message, coupe la musique et me distrait en nous plongeant dans le silence. Une expression sévère et dénuée de pitié a recouvert le visage de mon amie. Les sonorités dures dans sa voix prennent le dessus, la rudesse facilitée par la façon dont sa mâchoire se serre, dont ses lèvres se pincent. « J’aimerais tendre la main » elle dit en faisant, crispée, le geste. « La passer dans ce moment-là pour attraper ma gorge et dire “Ferme ta gueule.” à cette fille-là. “T’en sais rien. Ferme ta put-” » Elle s’est censurée et s’est faite taire, agacée, pour mieux conclure « J’en savais rien... » avec un semblant de tendresse pathétique pour la personne qu’elle étouffait d’injure, il était un instant. Je me sens surprise par mon propre souffle tremblant. Je cligne des yeux pour la première fois depuis qu’elle a ouvert la bouche, ainsi ils se vengent et m’offrent une vision d’elle brûlante. J’ai l’urgence de l’aider, de la rejoindre là où le souvenir est allée l’abandonner. « Li… » - « C’est impressionnant, non ? Le pouvoir qu’on a, sur les gens qui nous aiment. » Elle malaxe ses phalanges en regardant la silhouette de Teddy sans le voir. « Toutes les façons dont on peut les détruire. » Je ne la reconnais ni dans ses gestes, ni dans dans cette voix terrible. J’ai la crainte qu’elle s’étrangle. Dans ma poitrine, on s’emballe et craque avec un fracas dont le son m’écœure, lorsqu’elle dit « Il m’a brisée. Je compte même plus les morceaux. » et je me rends compte que la scène serait moins terrifiante, si Lina pleurait. Mais rien ne transparait, sinon une colère d’une folle violence. « J’avais confiance. » J’ouvre la bouche pour l’interrompre et la trouve d’une sécheresse que je n’ai pas le sentiment d’avoir un jour ressenti. Son tourment me dévaste et je ne sais poser aucun mot sur toutes ces injustices. À moitié aveuglée par les larmes qui m’ont rendu le monde nébuleux, je m’entends lui dire doucement « Li, Teddy n’a rien fait du tout… » Et Lina braque un regard terrifiant sur moi. « Je sais ! » elle crierait presque, choquée, avant de regarder partout devant elle avec une fureur vagabonde. Elle parle extrêmement vite. « C’est pas ce que je voulais dire, putain, évidemment que c’était pas ce que je voulais dire. » J’ai l’impression d’avoir reçu une gifle. D’avoir à nouveau six ans, inconsciente et sans pouvoir. Je n’ai aucune idée de qui est la personne qui se trouve de l’autre côté de ce lit d’hôpital. Je la vois pour la première fois. Et, ne connaissant rien d’elle, ne sait pas mieux la calmer que le prénom par lequel l’appeler. J’attends et encaisse, que passe la tempête. Au bout d’un instant, la voix de Lina dit « Mais il est pas là. Il est pas là et moi je m’assombris. Je le sens. Je deviens obscure et froide, ça se répand en moi. » Ses yeux s’écarquillent progressivement dans l’horreur. « Je suis en train de crever. Dans l’impatience, dans l’ennui. Je suis déçue. Tout le temps. » Fatiguée, elle a pourtant l’air puissante et je la découvre être, dans cet état, capable de tout. « J’en peux plus. » Ses aveux me pétrifient. Je la laisse continuer, n’osant pas interrompre son soliloque livré au drap, au lit, au sol. Son timbre est devenu un murmure incrédule. « Quand mon réveil sonne, tu sais ce que je me dis ? Je me dis “Encore ?!... Je dois tout recommencer, encore ? Vraiment ?!” Je sais ce qu’il se passe. Je l’ai fait des centaines de fois. Je peux plus, je peux pas. J’en ai marre, putain. » Quand elle ne craque pas, me revient l’image de son père tel qu’il était quand je l’ai rencontré : engourdi, insensible et abruti par les émotions qui, trop nombreuses depuis trop longtemps, avaient fini par avoir raison de son esprit soumis à toutes les horreurs et les injustices de son quotidien. Je me demande s’il avait confié toutes ces choses à sa femme. « Je voudrais qu’on prenne ma place. Qu’on vive ma vie. Qu’on me laisse et qu’on aille… Qu’on aille voir mes amis, qu’on aille faire mes études. Qu’on me dise pas quoi faire, quoi ressentir. » L’ampleur de sa détresse me coupe en deux. Si je bougeais, je perdrais la vue. J’essaie d’arrêter de mordiller ma lèvre, de pincer mes doigts. J’essaie de trouver son regard mais n’y arrive pas, quand je lui dis « Je comprends. » et qu’elle me le donne finalement, pour me demander « Comment ? », effarée. « Comment tu pourrais possiblement ? Ton grand amour est encore là. Et je parle pas d’un putain de Wade ou peu importe qui sera le prochain avant que tu te décides à remarquer... » La suite, je l’entends à peine. « ...toutes les fleurs de cerisier. »

J’ai fondu en larmes et me suis efforcée de le faire le plus silencieusement possible, terrorisée dans ma chaise d’hôpital. J’ai caché mon visage sous des mains tremblantes afin qu’ils en emprisonnent le souffle meurtri, les gémissements incontrôlables. Et mes organes en flammes se consument dans leur fournaise tandis que les contredit ma peau à la froideur cadavérique. Je dois faire un bruit, peut-être est-ce même un mot imploré sous ma peau, puisque Lina me regarde alors. Quelque chose de brutal - un changement - s’opère en elle. Il est visible, partout sur son visage. Elle se métamorphose en un claquement de doigt. Tout en elle se bouleverse et j’assiste, impuissante et sidérée, au spectacle d’une jeune femme retrouvant sa peau après l’orage. Ses yeux fixés sur moi sont déchirés par une émotion fiévreuse, assaillis par la mémoire qui semble lui revenir avec une violence semblable à la rupture d’un élastique qui aurait soudainement perdu sa tension. Je vois le remords lui déchirer la panse et, quand elle porte une main à sa bouche et l’autre sur son ventre, je devine que, comme moi, elle s’imagine facilement vomir. « Je suis désolée. » elle dit précipitamment, l’horreur de ses mots toujours suspendue entre nous. « Je suis désolée. » Je fais non de la tête pour la consoler mais elle se lève et contourne le lit pour venir s’asseoir, à genoux, devant moi. Je laisse Lina prendre ma main dans la sienne qui frémit quand elle me dit « J’arrive pas à croire que j’ai pu te parler comme ça. Je suis désolée… » Ses iris bleus naviguent sur tous les traits de mon visage avant de se soumettre, assaillies par les larmes. Lina fond et libère ce qui semble être une année de torpeur. Elle craque, défaite, et mon coeur ne le supporte pas. Je lui dis « C’est pas grave. », en serrant ses doigts, mais peine à l’en convaincre. Elle ne me laisse pas faire et ses sanglots promènent les mots qui viennent « Si, si ça l’est. J’ai l’impression d’avoir entendu Ben, ce… » Son front retrouve un éclair de fureur. « Cette ordure. » Ma poitrine se serre quand je pense au fait qu’elle lui en veut énormément, depuis l’ascenseur. Lina ouvre la bouche pour parler mais, me regardant à nouveau, n’y arrive pas. Elle se laisse pleurer et je devine tous les “je suis désolée” qui l’entêtent. J’essaie de reprendre mon souffle, terrassée par son émoi. J’essaie de me souvenir d’un jour où elle aurait, comme là, contourné le lit de Teddy sans prendre le temps de le toucher, mais n’y arrive pas. Mon cœur se gonfle, empathique, en reconnaissant toute l’affection dans le geste inconscient. Je suis passée avant lui. Et aucune urgence au monde n’avait jusque là enlevé Teddy à l’attention de Lina. Je presse ses cheveux sous ma main quand elle pose sa tête contre mes jambes, les serrant en pleurant comme une enfant. Je n’avais jamais vu quelqu’un être ainsi déformée, modelée par ses sentiments au point de les laisser tout guider : les mots, les gestes, le cœur, la tête. Je n’ose pas imaginer l’ampleur de l’épouvante qu’elle ressent, à ne pas s’être reconnue dans son cœur, sa tête, ses mots et ses gestes. Je la laisse pleurer, pleurer et pleurer encore, déverser comme l’on s’en purge, tout le chagrin que l’on retient ailleurs.

De longues minutes se mêlent dans le silence. Nos esprits, à la dérive, semblent finalement avoir trouvé un refuge dans un abri qui leur convient. Et je sais, en entendant son souffle chargé, que nos peines ont amarrées ensemble. Nos battements de cœurs, unifiés, ont repris le tintement plus calme d’un trésor précieux tel qu’égrainé entre les doigts d’un miséreux. Je l’aide à se relever sans rien dire. Elle s’en va, fébrile, et marche jusqu’à la petite salle de bains où je l’entends passer de l’eau sur son visage. J’expire, le moment passé. Puis sèche les larmes qui semblent avoir recouvert mon visage entier. Je me mouche, constate l’ampleur des dégâts dans un miroir de poche quand revient Lina. Appuyée contre le mur, elle me demande « Pourquoi tu m’en veux pas ? » et je ne manque pas une seconde pour partager l’évidence. « Je t’aime beaucoup trop. » À la voir mordre sa lèvre, je retrouve les échos de toutes ses expressions récentes. « Je suis désolée, Cherry. » Je le sais. Mais, plus important. « C’était pas toi. » Elle acquiesce en silence, l’air de vouloir s’en convaincre. Son regard de nouveau perdu me laisse cette fois savoir qu’elle médite ces mots et leur signification. Je me lève à mon tour, soulagée d’étendre mes jambes qui chancellent, le temps de me rendre un peu d’assurance. Pendant que Lina retourne vers sa chaise, je récupère mon téléphone et parcourt le dernier message en me promettant d’y répondre rapidement, cueillant toutefois l’inquiétude que les mots ont fait naître dans mon esprit calme. Lina et sa chaise font le chemin jusqu’à moi. Je ne manque pas la façon dont elle presse la cheville de Teddy au passage, puis se pose en face de moi. Nos genoux se touchent lorsque je m’assieds et lui demande « Comment tu te sens ? » Lina semble y réfléchir et le premier mot me vient d’abord en tête avant qu’elle ne l’ avoue. « Épuisée. Et terrifiée. » J’acquiesce avec tendresse tandis qu’elle souffle. « Je me sens… impatiente, tout le temps. » Je la laisse continuer, apaisée par cette rengaine au cœur de laquelle je la retrouve entière. « J’ai mal en mon être -l’âme et le reste- comme un tout. Chaque mouvement, chaque seconde me cause de la douleur. » Blessée par ce qu’elle s’apprête à me confier, la voix douce de Lina s’éreinte et supplie « Cherry… J’ai mal dans des endroits qui avant n’existaient pas. » Et je chavire. « Tu le ressens aussi, pas vrai ? Je suis pas folle, tu vois de quoi je parle ? » J’y pense mais essaie de ne pas m’attarder sur ce que je n’ai plus la force de pleurer aujourd’hui. La somme de toutes les choses qui font Teddy Tuesday ne se contente pas de prendre de la place en moi. Elle est une partie de moi, intégrée à mon corps, à ma personne. Ses actes, ses mots, ses pensées, son rire, ses choix, ses préférences, ses émotions, ses souffrances… sont autant de fragments qui, plutôt que de prendre une force inspirée de la pierre, se sont dispersés, infimes et omniprésents, dans mes mots, mes gestes, mon cœur, ma tête. Et, depuis quelques temps, un an sûrement, se trouve un vide à l’endroit que son nom occupait autrefois. Une part de néant qui grignote, vorace, les autres alentours, et m’arrache un peu plus de moi chaque jour.

Je hoche la tête, me trouvant incapable de le dire à voix haute. Soulagée, Lina me dit « Je crois que je vais aller dormir un peu. » et aucune idée au monde ne semble alors plus tentante. Je lui dis « D’accord. », ma voix ayant retrouvé un peu de force. Quand elle se lève, elle serre gentiment mon poignet de ses doigts fins, pour appuyer les mots qui arrivent.  « Ce soir, j’espère que ce sera… Cherry, je ne le pensais pas pour Wade. » Je sais. Je vois la manière dont elle le regarde, quand il passe voir Teddy. Elle n’a jamais dit que du bien de lui et sa patience, ses vertus, son cœur d’ange, ses conseils, sa prévenance et la façon dont il parvient immanquablement à la faire sourire chaque fois qu’il est là. Il a sur elle, comme sur le monde, un effet aussi tendre qu’immédiat. Je lui montre mon portable. « C’était lui, il est malade, c’est annulé. » Mon cœur a la force d’encaisser un pincement de plus. Et il semble avoir vibré dans nos deux poitrines quand Lina le ressent et dit « Viens chez moi ? » sans même que j’hésite. Ça tombe bien, « C’est Gigi qui cuisine. »

Revenir en haut Aller en bas

» cherry blossoms × lina «

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut

Sujets similaires

-
» » cherry «
» IV. CHERRY ─ Nominations
» « Is she with you × Wade + Cherry »
» » cherry pop × gigi «
Page 1 sur 1

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
→ ST TRINIAN'S , Where did you get those bruises ? :: 
→ UNTOLD STORIES ←
 :: il était une fois...
-