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Ashley Wallace

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Ashley Wallace

Ashley Wallace


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MessageSujet: Ashley Wallace Ashley Wallace Icon_minitimeVen 9 Juil - 19:01




Ashley "Ash" Wallace



ft Alona Tal
Ashley Wallace Avatar14

"Inside my heart is breaking
My makeup may be flaking
But my smile, still, stays on."

réscapé ; nouveau



» Curiculum Vitae «
Cet hôpital a vu mes frères et moi-même naitre en son sein. Ma mère le connaissait par coeur, et était même devenue amie avec quelques personnes faisant partie du personnel. Ils savaient qui elle était quand ils ont du lui demander d'identifier ses parents. Ils savaient qui elle était quand ils ont du la traiter pour sa fausse couche. Ils savaient qui elle était quand elle-même a fini par l'oublier. Ils savent qui elle est, encore aujourd'hui, alors que je ne le sais pas. Mary Wallace est un fantôme qui erre dans cet antre, dans une aile qui me fait peur, car je ne veux pas qu'elle m'accueille. J'ai personnellement de bons souvenirs avec cet hôpital. J'y ai vu des naissances, des guérisons et des espoirs renaître... C'est ce dont je n'ai jamais été témoin qui m'inquiète le plus.


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Ashley Wallace

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MessageSujet: Re: Ashley Wallace Ashley Wallace Icon_minitimeVen 9 Juil - 19:05

» Son histoire «


Journal intime d’Ashley Caoimhe Wallace

[Date] - 8 ans
C’est la première fois que j’essaie de faire ça, mais la maîtresse à l’école a dit que mes rédactions étaient tristes et qu’elle pense que j’ai besoin de parler à quelqu’un. J’ai donc été envoyée chez une conseillère. Mais papa avait l’air tellement inquiet que je n'ai pas osé dire ce que j’avais sur le cœur, une fois dans le cabinet. Je voulais qu’elle le rassure, qu’elle lui dise que tout allait bien. Donc j’ai souri tout le long et ai tout fait pour me montrer sous mon meilleur jour. La seule fois où j’ai parlé, c’est quand elle m’a demandé pourquoi mes histoires étaient si tristes. J’ai expliqué que c’était parce que j’adorais lire, et que j’avais remarqué que les meilleures histoires commençaient toujours par un malheur. J’essayais simplement d’écrire une bonne histoire. Alors elle m’a demandé d’en écrire une encore meilleure. La mienne. Et elle m’a donné ce cahier. Elle m’a promis que personne ne lirait si je ne voulais pas qu’on lise, mais qu’il fallait que je l’écrive.
Je n’aime pas cette idée. Je n’aime pas que tout ça soit ailleurs que dans ma tête. Une bonne histoire a des monstres et moi je n’aime pas voir les miens en liberté. Je les préfère enfermés où ils ne peuvent blesser personne. Ainsi, je peux les surveiller, les contrôler, les cacher, les tenir éloignés de la lumière. Ils ne peuvent pas faire peur à papa, s’il ignore qu’ils existent.
Mais on m’a donné une consigne. Et moi, je respecte toujours les consignes. Alors je vais essayer d’écrire mon histoire, en commençant par le début. La partie triste.

Je n’ai pas le moindre souvenir de ma maman. J’avais deux ans quand elle a été internée. Elle était enceinte de plus de cinq mois quand elle a appris que ses parents étaient morts dans un accident de voiture. Maman était dévastée et ce coup dur lui a fait perdre son bébé. Et comme elle était loin d’être imperméable au malheur, elle est tombée en dépression. Enfin, plus exactement, elle est atteinte d’un trouble de la dépersonnalisation accompagné de symptômes communs à la bipolarité. Mais papa a préféré raccourcir en appelant ça “dépression”, même si ce n’est pas tout à fait la même chose.
Pour maman, ça voulait dire qu’elle était tellement triste que son esprit a préféré lui inventer une autre vie. Mais ça n’allait pas avec celle qu’elle vivait, il y avait un conflit dans sa tête. Une part d’elle savait que l’on était ses enfants, une autre ignorait qui nous étions. Apparemment, elle croyait que nous avions pris la place du bébé qu’elle avait perdu. J’ai compris, quand on m’a dit ça, qu’elle ne pensait pas que Jo, Oliver, Kieran et Jimmy étaient sa fille absente. Seulement moi. Elle croyait que j’étais une créature qui l’avait remplacée. Encore aujourd’hui, je me demande pourquoi ma maman ne me voyait pas pour celle que j’étais. Toujours est-il qu’ils ont préféré la séparer de moi, de nous. Je m’en suis voulu d’être la raison pour laquelle mes frères se retrouvaient sans maman, même si je ne pouvais pas leur dire. Je m’en suis aussi voulu de ne pas avoir été assez brillante pour qu’elle me reconnaisse, pour la sauver de sa “dépression”.
Je me demande si je vais devenir comme elle. J’ai vu les photos. Je sais que je suis son portrait craché. Papa, Jo et Ollie n’osent pas me parler d’elle, Kiki et Jimmy ne s’en rappellent pas non plus, mais oncle Kenan m’a dit un jour que j’avais son rire et qu’il avait l’impression de la voir quand elle avait mon âge. Il avait l’air triste, en le disant. Plus tard, je l’ai entendu dire à papa qu’il n’avait pas le courage de revenir, que c’était trop dur. Papa a dit que je n’étais pas maman et qu’oncle Kenan devait arrêter de la chercher dans tous mes gestes, que ce n’était pas juste. Ni pour moi, ni pour lui. Il lui a dit que rien de tout ça n’était de ma faute. Oncle Kenan a répondu qu’il avait besoin d’air. Qu’il avait besoin de quitter cette ville. Que ses parents étaient morts, qu’il avait perdu sa sœur dans la foulée, et qu’à chaque fois qu’il parvenait à aller de l’avant, je faisais un geste ou disais quelque chose qui le ramenait à une époque où ils étaient tous encore là, en bonne santé. Qu’il n’empêcherait pas Sara de voir ses cousins et sa cousine, mais qu’il ne reviendrait plus. Du moins, pas pour le moment.
Peu de temps après, il a pris sa femme Sandy et Sara et a déménagé dans le Minnesota.
Et j’ai fait comme si je ne savais pas que c’était de ma faute s’il était parti, lui aussi.
[...]


[Date] - 8 ans (bis)
Cherry et moi avons enfin trouvé nos noms d’espionnes. On est allées sur internet, à la bibliothèque, et on les a trouvés sur un générateur de noms d’acteurs de films X, quoi que ça veuille dire. Elle s’appelle Willie Wood, et je suis Nikki Nutzz. Ça faisait longtemps qu’on voulait devenir des espionnes, comme dans Totally Spies. On l’a pas dit à Gigi, parce que c’est un garçon, donc il peut pas comprendre, mais c’est dommage, parce qu’on est trois, et que les Totally Spies, elles sont trois aussi. Cherry a proposé qu’on lui trouve un nom de code aussi, mais qu’on lui dise pas, comme ça, on peut dire des trucs rigolos sur lui sans qu’il sache. J’ai rifougné, parce que je suis sûre qu’elle veut pouvoir dire qu’elle est amoureuse de lui. J’aimerais bien qu’elle se marie avec lui pour de vrai. D’une, parce qu’ils sont trop beaux, tous les deux et que leur premier mariage était parfait. De deux parce qu’on pourra dire qu’on est sœur, si on porte le même nom de famille. Et aussi parce que j’en ai marre d’avoir que des garçons, dans ma famille.
J’aime mes frères à la folie, mais les garçons, ça ne comprend rien. Même Kiki qui est perspicace avec ses “Oui”, il a du mal, parfois. Ils font des efforts, mais ils ne savent ce que c’est que d’être une fille. Ils n'aiment pas les mêmes Disney que moi, déjà, et ça, ce n’est pas très facile à vivre. Ils aiment faire des trucs de garçons, genre se battre, ou faire du sport, ou jouer à la console, ou pas prendre de douche pendant une semaine. Je me sens un peu seule, parfois, même s’ils sont toujours en train de s’occuper de moi, de s’assurer que je vais bien, que j’ai ce qu’il me faut. Ils me font des câlins tout le temps, aussi (même Jimmy, même s’il en profite toujours pour m’ébouriffer les cheveux ou me faire des bisous de vache). D’ailleurs, je dois avouer que Jo donne les meilleurs câlins. Je me sens toujours protégée, quand il me prend dans ses bras, comme si rien ne pourrait m’arriver. Mais des fois, je vais chez tonton Stephen juste pour faire un câlin à tata Alfia, avant de repartir sans rien dire, avec un sourire satisfait, juste parce qu'elle est la seule présence féminine de mon entourage, et que sa douceur me fait du bien.
Du moins, jusqu’à ce que Cherry entre dans ma vie. Cherry, elle aime les mêmes choses que moi et sent toujours bon. Je l’ai connue grâce à Gigi. Parce qu’elle a passé du temps chez lui pendant que ses parents ont… Ah zut… Je n'ai pas le droit de dire le mot, et je ne sais pas ce qui peut le remplacer. Je sais qu’elle ne lira jamais, mais j’ai l’impression qu’elle va le savoir, si je l’écris. Peut-être même que je pourrais plus la regarder en face. Je sais parfaitement garder un secret, j’en garde plein, mais aucun d’entre eux ne sont des trahisons sournoises. Au contraire. Donc tant pis, je ne le dis pas. C’est la consigne. Et puis de toute façon, c’est pas vrai, je l’ai connue avant ça. Elle m’a prêté une gomme, une fois, au CP. J’ai trouvé ça vraiment cool de sa part. Je me suis dit que c’était  sans doute une fille bien. J’avais raison.
[...]


[Date] - 10 ans
Jimmy a encore refusé d’aller voir maman, aujourd’hui. Il dit toujours qu’il n’a pas besoin d’aller la voir, qu’elle ne lui manque pas. Qu’il ne saurait pas quoi lui dire, parce qu’il ne la connaît pas, et qu'on ne va pas se mentir, elle ne le connaît pas non plus. C’est une inconnue, et il n’a pas besoin d’elle.
Ceci, étant dit, je ne sais pas s’il le pense vraiment. Il aime bien prétendre que rien ne le touche, mais j’ai bien vu comment il regardait les mamans des autres. Avec envie. Cependant, ça le tuerait d’avouer qu’il a besoin de quelqu’un. Il préfère s’habituer au manque, plutôt que vouloir quelque chose.
Quelque part, je ne suis pas sûre qu’il ait réellement tort, concernant notre maman. Même si on allait la voir, est-ce que ça voudrait dire qu'on aurait enfin une mère ? Jo, Ollie et Kiki y sont déjà allés, ça n’a pas rendu leur regard moins triste quand on la mentionne. Ils n’en ressortent ni grandis, ni soulagés.
Ce que je vais écrire va être horrible, et je suis bien contente que personne ne puisse le lire. Je me sens coupable de penser ça, mais des fois, pas tout le temps, mais quand elle me manque horriblement, que ça me fait physiquement mal et que je n’arrive plus à respirer, je préfèrerais qu’elle soit morte. Qu’on puisse en faire le deuil et qu’il n’y ait pas cette ombre, présente et absente à la fois, sur notre existence. Tant qu’elle est là, il y a de l’espoir. Et tant qu’il y a de l’espoir, on a tous du mal à aller de l’avant. Papa le premier, qui est d’une loyauté sans faille. Qui y croit jusqu’au bout. Il ne l’abandonnera jamais.
Donc je comprends ce que Jimmy veut dire. Je me demande si on le vivrait de la même manière, si on la rencontrait. Mais Jimmy refuse et moi, papa ne me le propose jamais. Je n’ose pas lui demander pourquoi,  et je pense qu’il espère un peu que je n’aie pas remarqué que j’étais la seule à qui il ne donnait pas le choix. Ca confirme un peu ce que j’ai toujours pensé : Je ne sais pas dans quelle mesure, ni les tenants et aboutissants, mais d’une manière ou d’une autre, je suis le problème. J’ai la certitude que papa a eu à choisir entre elle et moi. Et j’ai toujours peur qu’il décide un jour qu’il a fait le mauvais choix.
Donc je fais tout pour être la plus facile à vivre possible. Je ne fais pas trop de bruit, je respecte toujours les consignes, j’aide tout le monde, j’essaie de ne jamais m’énerver, de ne jamais être triste, j’accepte tout, je ne me moque de personne, ne rejette personne. Je ne me rebelle contre aucun traitement, même quand je me demande si je le mérite vraiment. Je donne le bénéfice du doute à tous ceux qui ont l’air méchant. Je range toujours ma chambre, fais tous mes devoirs, me porte volontaire pour les tâches ingrates. J’essaie de m’occuper de Gigi, aussi. D’être toujours là quand il a besoin, de l’aider à faire ses devoirs, à apprendre ses leçons. Et j’écoute. J’écoute tout le monde, tout le temps. Tout ce qu’ils ont à dire. Dès qu’ils sont tristes, dès qu’ils ont besoin de parler. En contrepartie, je ne dérange personne avec les monstres enfermés dans ma tête, même quand ils essaient de rendre l’endroit noir et inhabitable.
Et je fais tout ça avec le sourire. Tout le temps. Parce que les gens aiment bien ceux qui sourient. Parce que ceux qui sourient vont bien. Ils sont lumineux. Et les gens lumineux ne sont le problème de personne.
[...]

[Date] - 12 ans.
Jo est devenu papa, aujourd’hui. Paula a accouché vers 4h du matin et Papa, tonton Stephen, tata Alfia, Ollie, Kiki, Jimmy, Gigi, Cherry et moi avons passé la nuit dans la salle d’attente de l’hôpital, pour les soutenir.
L’image de ma famille dans cette salle juste avant que Jo n’arrive pour nous annoncer la bonne nouvelle reste ancrée dans ma mémoire plus que tout le reste, pour je sais quelle raison, comme si je regardais une photographie de Kiki. Cherry s’était endormie avec la tête sur les genoux de Gigi, qui roupillait aussi, et les jambes sur celles de Kiki, qui caressait machinalement le tibia de ma meilleure amie d’une main et me couvrait les épaules de son bras libre. Il observait les va-et-vient des inconnus d’un air intéressé et absent à la fois, comme si ce n’était pas vraiment eux qu’il regardait, mais leurs mouvements. Jimmy était allongé de tout son long dans un canapé libre, les bras sous sa tête et les yeux grands ouverts, rivés sur le plafond. Assis dans le canapé d’à côté, le dos droit, comme toujours, Ollie jetait des coups d'œil discrets et réguliers à l’infirmier derrière son comptoir, comme s’il avait peur qu’il vienne nous annoncer une mauvaise nouvelle. Papa, tonton Stephen et tata Alfia discutaient gaiement malgré la fatigue.
J’aurais voulu dormir. J’étais éreintée et confortable dans les bras de mon Kiki. J’avais essayé, plus tôt, quand j’avais vu Cherry sombrer pendant un jeu de devinettes, mais je n’avais pas réussi. Je pense que j’étais excitée, parce que j’allais être tata, et personne au monde ne mérite d’être papa plus que Jo. Il allait être parfait, il était fait pour ça, je pouvais en témoigner. Mais il n’y avait pas que ça. Il y avait aussi le fait que je savais où j’étais. Je savais qui vivait ici, comme si j’étais devant l’entrée d’une grotte dans laquelle habitait un géant. Je me suis imaginée échapper à la vigilance de tout le monde pour errer dans les couloirs jusqu’à ce que je trouve son étage, puis sa chambre. J’ai même élaboré un stratagème. Tout ce que j’avais à faire, c’était dire que je voulais faire pipi. J’étais assez grande pour y aller toute seule, personne ne m’y aurait accompagnée. Je pouvais le faire. Ça aurait été facile. Une part de moi était sûre que j’allais le faire. Mais je n’ai pas bougé. D’un poil. J’me dégonflais à chaque fois que je parvenais à me dire “Allez, maintenant.” Puis j’ai fini par faire taire la part de moi qui voulait y aller en me disant qu’il y avait probablement des agents de sécurité. Et une porte, fermée. Je ne connaissais même pas l’étage. Et si Jo arrivait pendant que je n’étais pas là?
Et puis… Est-ce que j’en avais vraiment envie? Honnêtement, oui. Et honnêtement, non. Donc, j’ai passé la nuit à calculer les meilleurs moments pour y aller, et à tous les laisser passer, me disant, au fur et à mesure que les heures avançaient, que si j’avais dû le faire, il aurait fallu que ce soit bien plus tôt. Que maintenant, c’était trop tard, et que Jo pouvait arriver à n’importe quel instant pour nous annoncer que sa fille était née. Et quand il l’a enfin fait, j’ai jamais été aussi soulagée, heureuse, excitée… Et déçue, dans un coin de mon esprit, d’avoir laissé passé ma chance. Mais dès qu’il a fait son entrée, la salle s’est animée de telle sorte que je n’avais plus de place pour mes pensées. Et le bonheur l’a emporté quand il m’a prise dans ses bras et m’a demandé si je voulais voir ma nièce. J’ai dit “Oui” et me suis retournée vers Kiki qui m’a tapé dans la main, fier de ma pertinence, pendant que Jo a vibré d’un rire fatigué mais heureux. Il ne me lâchait pas, pendant que tout le monde le félicitait, et j’étais vraiment contente de ne pas avoir gâché ce moment en partant chercher un fantôme. Mon regard s’est posé sur Cherry qui s’était réveillée et comme ses yeux endormis commençaient à se remplir de larmes de joie, j’ai commencé à richougné aussi. Je lui ai pris la main, et toutes les deux, accompagnés de tout le reste de la famille, on a suivi Jo qui nous a amenés devant la fenêtre de la nurserie, pour nous présenter Maddison Wallace.
Et à la voir, si petite, comme ça, j’ai pleuré pour de vrai. On pleurait tous, d’ailleurs. Même Jimmy, quand il a vu que Jo le faisait. C’était le plus beau bébé que j’avais jamais vu. J’ai même entendu Gigi demander à Jo s’il pourrait la garder, des fois, quand il voudrait sortir, et Cherry a dit “Aaww”, complètement attendrie. Je pense que c’est parce qu’il veut s'entraîner pour quand ils auront des bébés ensemble. C’est obligé.
[...]

[Date] - 13 ans.
Kiki nous a annoncé qu’il était pris dans son école. L’année prochaine, il part à l’autre bout du pays. Du continent, même. Il part en Californie et mon cœur est tombé si bas que je me suis sentie marcher dessus, quand j’ai profité d’un moment d’inattention pour aller me cacher dans un placard afin d’avoir une crise de panique loin de tout le monde. Mon frère s’en va. Le premier de la fratrie à quitter New York, et c’est celui dont je me suis toujours sentie la plus proche. Mon plus grand soutien. J’ai cru que j’allais plus jamais réussir à respirer. J’ai encore du mal, par moment. J’ai tellement envie de pleurer, tout le temps. Je devrais profiter des quelques mois qu’il me reste à l’avoir à la maison, mais j’ai peur qu’il me voit être triste et qu’il s’en veuille. Ce n’est pas de sa faute. Ce n’est même pas de la mienne, cette fois. Enfin, je ne crois pas. Peut-être qu’en fait, ça l’est. Peut-être qu’il étouffe, ici. Peut-être qu’il a besoin d’air parce que celui d’ici est toxique depuis que maman est n’est plus là. Et maman n’est plus là à cause de moi. Peut-être que c’est pour ça qu’il a besoin de liberté.
Non, non, Kieran nous aime. Il m’aime. Il aime passer du temps avec moi, je n’ai jamais eu à le forcer. Il aime qu’on regarde des films ensemble. Pour mes anniversaires, il me vient me voir tôt le matin, avec un petit déjeuner et une tiare. Quand je me fais mal, il me met un pansement, me fait un bisou magique et me console. Quand on m’embête, il se précipite à ma rescousse. Qu’est-ce que je vais faire, sans lui ?
La maison se vide petit à petit, mais jusqu’à maintenant, ça allait, parce que Jo est à l’autre bout de la rue et Ollie est toujours à New York. On les voit moins, mais ils ne sont pas absents pendant des mois entiers. On ne sera même pas sur le même fuseau horaire.
Il faut que je respire, il reviendra quand il aura son diplôme. Il reviendra et peut-être que l’envie de quitter la maison lui sera passée, d’ici-là.
Il va tellement me manquer, mon Kiki.
Puis Cherry va être triste aussi. Elle croit qu’elle veut l’épouser. Quelle patate.
[...]

[Date] - 14 ans
Cette semaine, c’était la rentrée. Honnêtement, je n’ai jamais connu de rentrée plus effrayante que celle-ci. Kiki a déménagé la semaine dernière à l’autre bout du pays, et comme si ça ne suffisait pas, Cherry, Gigi et moi avons commencé notre première année au lycée. Ces changements radicaux étaient beaucoup trop pour moi, et même papa n’a pas pu retenir ses larmes quand il m’a déposée devant le lycée. Il a horreur du changement aussi, ce qui est assez fou quand on sait que sa vie n’a été faite que de ça. J’aurais voulu lui demander de venir avec moi, s’asseoir à côté de moi toute la journée, parce que je ne voulais pas grandir et me séparer de lui, comme les autres. Je voulais rester sa petite fille, et être en sécurité sur ses genoux, à écouter les histoires qu’il a toujours inventées pour moi. Mais heureusement, quand je suis sortie de la voiture, c’était pour retrouver les visages familiers de Gigi et Cherry et ça, ça m’a rassurée. Parce que peu importe qui me quitte, ils sont toujours là, se faisant les constantes immuables de ma petite existence.
Je pensais pareil de Kiki, c’est vrai, et à cause de ça, j’ai toujours cette petite voix qui me dit que rien n’est pour toujours, dans ce monde. Mais nous trois, ça l’est. Il n’y a pas le moindre changement qui ne se fasse sans que nous soyons en osmose sur le sujet. Nous ne prenons pas la moindre décision qui ne soit pas en accord total avec l’avis des deux autres. Même certains de nos mouvements se font de concerts, comme des miroirs posés côte à côte. J’en ai eu la preuve cette semaine, quand, d’un commun accord, nous sommes tous les trois tombés amoureux, en même temps, d’un couple qui est destiné à compléter nos rangs.
Ils s’appellent Teddy et Lina, et ils sont parfaits, faits pour être aimés de nous. Lina est d’une assurance calme et d’une patience sans borne. Je retrouve beaucoup d’Ollie, en elle. Teddy est un jeune Jo fou : d’un charisme sans égale et d’une bonté qui m’émeut. Leurs qualités et leurs défauts, qui contrastent et se marient à la perfection entre eux, se lient sans efforts à l’effervescence aimante de Cherry, à la sensibilité tendre de Gigi et à ma naïveté timide. Et puis, ils sont tellement beaux. Pas seulement quand ils sont ensembles, pas juste parce qu’ils sont amoureux, pas uniquement parce qu’ils sont bons. Ils sont beaux parce qu’ils le sont, tels des statues auxquelles on aurait donné vie. Même Jimmy, qui les a vu avec nous, dans les couloirs, les apprécient déjà. Et Jimmy est exigeant. Il a beau être sociable et ouvert, il n’est pas facilement séduit. Donc si Jimmy les aime, c’est qu’ils le méritent.
Je leur suis tellement reconnaissante d’être entré dans ma vie juste au moment où Kiki est parti découvrir d’autres horizons. C’est tout nouveau, tout neuf, mais ce n’est pas passager, je le sais. Leur cœur s’est emboîté avec le mien. Je n’imagine déjà plus ma vie sans eux.
[...]

[Date] - 15 ans.
Ok, je crois qu’il est temps que je parle de Samuel Luke Austen. J’ai essayé d’éviter de m’épancher dessus à chaque fois que j’ai parlé de la famille de Lina, dans ce journal, parce que je n’avais pas l’impression que ça méritait réellement une mention. Je veux dire, ce n’est pas un secret honteux, ou quelque chose qui me tient éveillée la nuit. Ça fait à peine partie de mon histoire tant c’est banal. Mais… Je crois que Sam Austen est le plus bel homme que j’ai jamais vu de ma vie. Désolée pour tous mes frères (Oui, même Kiki), désolée papa, désolée Teddy, désolée Gigi, désolée Bash. Mais, c’est juste impressionnant, à quel point il est beau. Et drôle. Et humain. Et… Parfait, de partout, tout le temps. Je n’en reviens pas.
Comment ça se fait qu’il existe ? Je veux dire, comment n’est-il pas un personnage de film ? J’arrive pas à croire qu’il ne soit pas fictif. Qui a eu l’idée de le créer, de le façonner ? Bon, ok, quand tu vois les parents et les sœurs, c’est clair que cette famille n’est pas de ce monde. Mais Sam est le seul à me faire glousser même quand il ne fait rien. Il a juste besoin de dire “Bonjour” et je bois ses paroles. Et je ne suis pas la seule. Cherry aussi, on est toutes les deux sur le coup, mais malgré la rivalité, on se soutient en se faisant baver l’une l’autre rien qu’en mentionnant son nom.
On a même voulu apprendre à parler le langage des signes pour l’impressionner, parce qu’il sait le parler, mais il s’avère que ce n’est pas si facile à apprendre quand on essaie de le faire discrètement, sans éveiller les soupçons de Jimmy ou autres personnes susceptibles de se moquer et de nous afficher.
Ceci dit, le fait que je sois en compétition avec Cherry pourrait avoir des conséquences, si on avait la moindre chance. Parce qu’en plus d’être parfait, il s’avère qu’il est également bien majeur. Et en couple. Avec une femme parfaite. Mais au moins, grâce à tous ces obstacles on peut rêvasser tranquillement, sans pression, sans conséquences, en sachant très bien que c’est perdu d’avance, sans que ça ne fasse mal, parce que ce n’est pas ma personnalité, le problème.
Toujours est-il que j’y ai beaucoup réfléchi, et dans une autre vie, notre mariage sera parfait. Même si Cherry croit que c’est elle qu’il épouserait. Mais désolée, Willie Wood. Dans mon fantasme, tu es juste demoiselle d’honneur. Ashley Austen, ça en jette bien plus que Cherry Austen, et c’est une allitération.
Tout ça pour dire que Samuel Luke Austen est mon premier vrai crush, et j’ai bien peur qu’il ait ruiné les autres hommes, pour moi. J’avais déjà des attentes assez impressionnantes, à cause des hommes de ma famille, mais là, c’est sûr, je n’en trouverai jamais d’aussi parfait.
[...]

[Date] - 15 ans
Paula est partie. Elle a dit qu’elle ne peut pas se concentrer sur sa carrière et élever une petite fille en même temps, puis elle a pris ses cliques et ses claques et à emménager à Manhattan, dans le genre d’appartements que seules les businesswomen célibataires et sans enfants possèdent, avec des bibelots fragiles, des meubles anguleux et chers, des sols brillant et des teintes allant du beige au gris. J’ai vu l’appartement, parce que quand il l’a aidée à déménager, je venais de m’installer chez Jo de manière temporaire. En partie pour m’occuper de Maddie et de mon frère pendant cette transition, et en partie parce que je me suis cassé la cheville en jouant au football, que je suis en béquilles, que ma chambre est à l’étage, et que celle que j’occupe chez Jo est au rez-de-chaussée.
Il faut d’ailleurs que j’avoue avoir profité de mon handicap pour, oups, faire tomber un vase en cristal, “sans faire exprès”. J’ai cru que Paula allait péter une durite quand elle m’a traitée de “sale petite empotée”, mais elle s’est vite calmée quand Jo a grogné, mécontent qu’elle m’ait insultée. J’ai jamais été aussi satisfaite d’être maladroite et endolorie qu’à ce moment-là. Ce n’est pas bien, je sais, mais elle l’a bien mérité.
Non seulement je trouve son comportement affreux, mais il est de plus complètement injustifié, car, soyons honnête, elle ne faisait déjà pas grand chose, de base. Sa carrière a toujours été sa priorité, et sa vie de famille ne l’a jamais retenue, vu qu’elle ne s’occupait que très peu de sa fille. Son congé maternité n’a duré que trois mois et même pendant ce temps, elle passait son temps au téléphone avec ses collègues et ses clients.
Une fois, je lui ai demandé pourquoi elle ne restait pas plus souvent avec Maddie. Sa réponse était parfaitement à son image: arrogante et artificielle. “Tu comprendras quand tu seras plus grande et que tu voudras être indépendante, Cherry. Tu verras que, dans la vie, il faut faire des sacrifices. En tant que femme, on se doit de donner la priorité à notre carrière, car ce n’est que comme ça qu’on peut enfin être libres.” . C’est là que j’ai compris qu’elle n’avait même pas pris la peine de chercher à faire la différence entre Cherry et moi. Je n’ai même pas essayé de la corriger, j’ai juste lâché un “Ah !” surpris et elle m’a regardée comme si j’étais intolérante au lactose, en réponse. Je crois qu’elle espérait que je sois impressionnée par sa sagesse et son activisme, mais j’étais trop occupée à me dire que j’aurais adoré voir si elle s’en sortait aussi brillamment pour ce qui était de retenir les noms d’Ollie, Kiki, Jimmy et Gigi. Je n’en ai jamais eu l’occasion, cependant, parce qu'elle ne venait jamais aux barbecues du dimanche.
Pour sa défense (et oui, j’ai conscience d’avoir écrit ces trois mots, mais soyons honnête, si elle n’était pas en train d’abandonner ma nièce, je ne pense pas que je la jugerais avec autant d’aigreur. Je ne la jugerais même sûrement pas du tout.), quand elle a su qu’elle était enceinte, par accident, ça ne faisait que quelques mois que Jo et elle étaient ensemble, et ils étaient sur le point de rompre. Pas de chance pour elle, elle a fait un déni de grossesse et s’en est rendue compte trop tard pour avorter. Du coup, ils n’ont pas osé se séparer.
Tout ça, je ne le savais pas à l’époque, mais Jo vient de me le confier en me faisant promettre de ne pas en parler, car il ne voulait pas que Maddie ne finisse par l’apprendre.
Toujours est-il que je ne compte plus les weekends que j’ai passé chez Jo pour l’aider avec Maddie, parce que Paula avait un événement professionnel. C’en est arrivé au point où Jo a carrément décoré la chambre d’amis selon mes goûts. Il ne l’a jamais ouvertement appelée ma chambre, mais Kiki ne s’en prive pas. La première fois qu’il est rentré et qu’il a voulu dormir chez notre héros commun pour rattraper le temps perdu avec lui, il m’a demandé la permission de dormir dans “mon” lit.
Maddie m’a tellement vue plus souvent que Paula que c’est à moi qu’elle a dit “maman” pour la première fois. J’avais 13 ans. J’ai pleuré.
Je trouve tout ça tellement révoltant, ça me donne envie de pleurer de rage à chaque fois que j’y pense. Je n’ai jamais vu de petite filles plus parfaites que Maddie et elle mérite une vraie maman qui l’aime plus qu’elle ne s’aime elle-même. J’ai tellement peur qu’elle se pose les mêmes questions que moi en grandissant. Je fais tout pour qu’elle ne ressente pas ce manque, mais je suis la mieux placée pour savoir que tout l’amour du monde ne peut pas remplacer celui d’une mère. Est-ce que Maddie aussi va s’en vouloir, en grandissant ? Est-ce qu’elle va penser que c’est de sa faute ? Est-ce qu’elle va le cacher ? J’espère tellement qu’elle ne se sentira jamais aussi seule que moi. La différence, c'est qu'elle pourra voir Paula. Quand Paula aura le temps.
Jo aussi s’inquiète. Il m’a demandé plusieurs fois si, selon moi, Maddie ira bien. J’ai bien compris qu’il me demandait de partager mon point de vue de fille ayant grandi sans maman. J’ai cru que j’allais vomir quand je me suis prise à lui mentir, en lui disant avec un grand sourire de ne pas s’inquiéter et qu’il lui suffirait. Mais qu’est ce que j’aurais pu faire d’autre ? Lui dire que personne ne remplacera jamais Paula et qu’il y a de fortes chances que sa fille soit traumatisée à vie ? Il n’a pas besoin d’entendre ça. Et il n’a pas besoin de savoir que j’étais dans le même bateau qu’elle, et que malgré tous ses efforts, toute sa perfection, tous ses sacrifices, les filles qu’il élève ne se remettront peut-être jamais de ne pas avoir suffi à leurs mamans.
[...]

[Date] - 16 ans
Ce dimanche, pendant le barbecue, Ollie a fait son coming out.
Il avait été silencieux pendant tout l’apéritif. Pas un mot, pas même quand on lui posait des questions, qu’il ne semblait pas entendre. J’étais assise à côté de lui et sa tension était tellement contagieuse que j’avais presque l’impression qu’elle était dans mon assiette, dans mon ventre, dans mes épaules. J’ai passé mon temps à frotter son bras en lui demandant si tout allait bien, lançant du regard des appels à l’aide à Jo, qui était en face. Jo semblait aussi démuni que moi. Même Kiki, qui était là pour la semaine, ne savait pas quoi dire pour faire sourire son héros et ce n’est que quand papa, qui venait de finir de cuire la première fournée et qui nous l’amenait avec satisfaction, a remarqué la scène et a demandé s’il y avait un problème, qu’Ollie s’est levé, les yeux rivés sur la table.
Il n’a pas parlé tout de suite, car à chaque fois qu’il essayait, les mots semblaient rester bloqués dans sa gorge. J’ai donc pris la main pour lui donner du courage. Il ne m’a pas regardée, mais il a instinctivement fermé ses doigts un brin trop fort, a pris une longue inspiration et a fait son annonce. Il l’a dit très vite, comme s’il avait peur de jamais finir sa phrase s’il prenait son temps. Ou comme s’il espérait qu’on ne l’entende pas. Je ne l’avais jamais vu aussi vulnérable, aussi peu sûr de lui, et ça m’a mis un coup, plus que ses mots.
Parce qu’Ollie sait tout. Il a toujours eu cette assurance innée, une solution à tous nos problèmes, un conseil. Il est maître de chacune de ses émotions et semble toujours avoir le contrôle. Mais pas à cet instant, pas alors qu’il mettait son âme à nue comme il ne l’a jamais fait auparavant. Pas alors qu’il venait de jeter son cœur à nos pieds en se demandant si on allait le piétiner.
Il a légèrement relâché sa prise sur ma main, comme pour me donner le choix de retirer la mienne si je le voulais et cette fois, c’est moi, qui l’ai agrippé. Non mais quelle idée, comme si j’allais moins l’aimer ! Aimer les hommes ne le rendait pas moins Oliver ! Puis je sais très bien comment ça se passe. Ce n’est pas comme si il était soudainement devenu gay et que ça l’avait changé. S’il est gay maintenant, c’est qu’il l’a toujours été. La seule chose qui change, c’est que maintenant, je le sais. Ça ne le rend pas moins beau, ça ne le rend pas moins fort, ça ne le rend pas moins intelligent, ça ne le rend pas moins drôle, ça ne le rend pas moins sage. Ça le rend juste plus entier.
Il m’a jeté un bref regard reconnaissant, mais n’a pas encore osé respirer. Il attendait les autres.
C’est papa qui a réagi le premier. Il s’est approché doucement d’Oliver. Il n’y avait cependant aucun suspens sur son visage. Papa n’a jamais su cacher ses émotions et y’avait que de l’amour sur son visage quand il a posé une main sur le bras d’Ollie et l’autre sur sa nuque, pour attirer doucement son front vers le sien. Ollie s’est alors effondré en larmes sur l’épaule de mon père qui l’a alors serré en lui murmurant que tout allait bien, et qu’il était fier qu’il soit aussi courageux. Ça m’a fait pleurer. Puis les autres en ont rajouté une couche en se levant tous pour poser une main rassurante sur Ollie et tous le prendre dans leur bras, à tour de rôle. Et pendant tout ce temps, j’avais ma main dans la sienne, qu’il ne lâchait plus. Quand il s’est assis de nouveau, il avait l’air tellement soulagé, que je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. Il a soufflé, à essuyer ses larmes, puis m’a regardée. Il avait l’air tellement apaisé que mon cœur s’est gonflé. Je l’ai remercié de nous l’avoir dit, et il a souri aussi. Il a essuyé mes joues de sa main de libre, sans rien dire, encore trop émotionnel pour parler.
Puis on a commencé à manger. Ollie et moi, on a galéré, mais on s’est pas lâché la main. Je lui ai demandé si j’aurais le droit de lui poser des questions, plus tard, et il a ri, puis a répondu : "À condition que tu ne me demandes pas si un gars qui est né avec deux mains gauches est quand même droitier s’il écrit de la main droite.”
Je m’en veux, mais sur une échelle de 1 à 10, je n'ai rien compris. Je n’ai pas eu le temps de le dire, parce que Kiki a réagi au quart de tour.
Et le repas a repris comme à l’accoutumée, avec les conversations et les rires de ma famille, plus soudée que jamais.
[...]

[Date] - 17 ans
Un garçon de ma classe m’a demandé de devenir sa petite-amie. Il s’appelle Jared et il m’a dit qu’il s’en fichait, des histoires que racontait mon frère pour tenir les garçons éloignés de moi, parce qu’il trouvait que j’étais la plus jolie fille de la classe. Je ne suis pas trop d’accord, parce que Cherry et Lina sont absolument parfaites, n’ont pas le moindre défaut physique, et sont donc, de loin, les plus jolies filles de la classe. Mais entre l’une qui est avec Teddy et l’autre qui est quasiment avec Gigi, aux yeux de tout le monde, j’imagine qu’elles doivent être assez inaccessibles, donc je suis ce qui reste.
J’étais tellement touchée qu’il soit intéressé et tellement contente qu’il ne se soit pas laissé intimider par Jimmy (qui a redoublé son année et qui du coup, est partout où je vais) que j’ai dit oui. Et j’ai eu de la chance, parce qu’il est adorable, drôle et gentil. Je n’y avais jamais vraiment fait attention, avant ça, même quand il me demandait de l’aide avec ses cours, ou venait me voir dans les couloirs pour me demander comment s’était passé mon weekend, pour me raconter des blagues ou autres petites attentions, qui non mais vraiment, maintenant que j’y pense, auraient vraiment dû me mettre la puce à l’oreille. Cherry, Teddy, Lina et Gigi ont essayé de me le dire, mais je n’ai rien remarqué. J’ai l’habitude d’être l’amie. Je n’ai jamais été avec un garçon. A chaque fois que je voulais, Jimmy, avec le soutien de mes autres frères, s’assurait que ça n’aille jamais plus loin que le flirt, parce qu’il disait que personne n’était assez bien pour moi.
Balivernes. La preuve.
En attendant, mon manque d’expérience est flagrant et n’a d’égal que celui de Jared. On a l’air de deux mauvais acteurs à chaque fois qu’on essaie d’avoir l’air romantique comme dans les séries. J’ose même pas demander à Cherry à quoi on ressemble, parce que je suis sûre que même elle, qui adore les gens en couple, doit se dire qu’on a vraiment l’air de deux débutants coincés. Et y’a rien de naturel dans nos baisers, c’est tellement stressant et même un peu dégoûtant. C’est… baveux. C’est désordonné. Désynchronisé. On s’améliore, petit à petit, je dois l’admettre, mais quand on est devant les copains, on va rarement plus loin que le smack. Je ne crois pas que je sois vraiment faite pour ça. Je me demande si Cherry va me renier si je lui dis que je suis nulle en vie de couple. Teddy et Lina donnent l’impression que c’est tellement facile. Mais en fait, c’est beaucoup d’efforts ne serait-ce que pour se montrer à quel point on aime bien passer du temps ensemble. On est tellement nerveux quand on est ensemble!
J’espère que je vais vite finir par m’améliorer, parce qu’il est tellement adorable, ça me fend le cœur de ne pas réussir à rendre notre relation parfaite et fluide.
[...]

[Date] - 17 ans
Pour fêter nos six mois ensemble, Jared a demandé à ses parents de lui laisser la maison pour qu’il puisse me préparer un dîner romantique. Ils sont donc sortis et nous ont laissés seuls pendant la soirée, et je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que c’était probablement le pire cauchemar de mes frères et de mon père, qui se réalisait. Il va sans dire qu’ils ne sont pas au courant. Je leur ai fait croire que je passais la soirée chez Cherry pour garder son petit frère avec elle, comme on le fait souvent, et lui ai demandé de me couvrir.  
Jared est à moitié chinois et à moitié malaysien, donc il m’a préparé des spécialités de Chine et de Malaysie. C’était délicieux. Il s’était donné beaucoup de mal et avait refusé l’aide de sa mère. C’est elle qui me l’a dit avec fierté avant de partir, ce qui a fait rougir Jared qui ne savait plus où se mettre. Moi, j’ai trouvé ça drôlement mignon. Ça me fait un peu penser à Alfia quand elle parle des lasagnes de Gigi.
Malgré tous ses efforts, je ressens toujours un petit malaise dans le fond de mon estomac, quand je suis avec lui, comme si quelque chose n’allait pas. J’ai toujours l’impression qu’il manque quelque chose, que le tableau n’est pas complet. Je n’arrive pas à être à l’aise à 100%. J’ai une retenue et non seulement je ne sais pas d’où elle vient, mais je la déteste, parce qu’il mérite mieux que ça. J’ai fini par me dire qu’on avait sûrement besoin d'être plus intime, pour que cette timidité cesse enfin. Peut-être qu’il était temps qu’on se mette à nu. Littéralement.
Donc à la fin du repas, quand on s’est posé sur le canapé pour regarder un film et qu’il a commencé à se détourner du film pour m’embrasser, je lui ai rendu son baiser. Quand il a commencé à vouloir aller plus loin, je l’ai laissé faire. Et quand il m’a demandé si j'étais prête à aller jusqu’au bout, j’ai menti. J’ai dit que je l’étais. J’avais demandé des conseils à Lina, parce que je savais que ce moment allait arriver. J’avais même demandé son avis de garçon à Teddy. Donc je savais plus ou moins à quoi m’attendre et ce qu’on espérait de moi.
Ma première fois aurait pu être bien pire. Elle aurait pu être avec quelqu’un qui ne méritait pas. Elle aurait pu être avec quelqu’un en qui je ne pouvais pas avoir confiance. Elle aurait pu être avec quelqu’un qui n’essaie pas d’être le plus doux possible. Elle aurait pu ne pas être avec quelqu’un d’attentionné et de prévenant.  J’ai eu de la chance, que ce soit avec Jared, quand j’y pense. Je n’ai pas trouvé ce que je recherchais dans ce rapport, mais je ne le regrette pas. Et puis, après tout, c’est juste un mauvais moment à passer. Tout le monde y a eu droit. Tout le monde a été mal à l’aise. Tout le monde a eu mal. Tout le monde s’est demandé pourquoi c’était aussi important. Tout le monde a eu l’impression d’avoir gâché sa première fois parce que tout s’est passé trop vite. Tout le monde a eu envie de pleurer, après, parce que rien ne serait plus jamais comme avant. Pas vrai ?
Le véritable problème que j’ai, avec ma“première fois”, c’est qu’après celle-là, il doit y en avoir d’autres. Et elle ne sont pas mieux, parce qu’on ne s’improvise pas maître du sexe en claquant des doigts. Donc au lieu d’avoir calmé mon malaise, je l’ai décuplé, car maintenant que cette boite est ouverte, il n’y a plus vraiment moyen de la refermer. Désormais, j’ai l’impression de devoir le faire à chaque fois qu’on se voit en dehors de l’école, car lui, il l’a aimée, notre première fois. Il veut recommencer. Et je ne peux plus vraiment lui dire “non”, maintenant, sans automatiquement avoir l’impression que je suis une mauvaise petite-amie. C’est même pire, si je suis pas celle qui déclenche le rapport, de temps en temps, il va croire que je ne veux pas de lui. C’est tellement de pression !
Je ne comprends pas. Ça ne devrait pas être plus facile, maintenant qu’on sait à quoi ça ressemble ?
Peut-être que je réfléchis trop.
[...]

[Date] - 17 ans
L’année scolaire, la dernière du lycée, est passée à toute vitesse. Avant qu’on ait eu le temps de le voir venir, les inscriptions et acceptations à la fac ont eu lieu, puis le bal de promo, puis la remise des diplômes.
On sait tous de quoi Septembre sera fait, et on sera tous, pour la première fois, séparés. Jimmy, Teddy, Lina, Cherry, Gigi, Jared, moi… Nous ne serons plus jamais dans la même école. Jared va même quitter la ville, vu qu’il a été accepté à MIT, ce que je vis bien, d’ailleurs, puisque Boston n’est qu’à trois heures de route, et qu’on a décidé de tenter la relation longue distance.
Nous sommes donc au beau milieu de notre dernier été avant l’université. Les deux derniers mois durant lesquels on aurait pu tout partager, comme avant, à passer nos journées entières tous ensemble… Et on les passe à travailler, pour se faire de l’argent pour l’année prochaine. Pas de dernier voyage cimentant nos liens indestructibles, de dernier au revoir à Rome ou à Venise ou dans une cabane dans les bois… Rien. Pire que ça, Gigi et Cherry sont en froid, et même si on sait tous pourquoi, on évite d’en parler (Mais mon coeur… Je vous jure, mon cœur va exploser.) et elle passe plus de temps avec Kingsley qu’avec n’importe lequel d’entre nous, vu qu’ils bossent ensemble dans l’entreprise de son père.
C’est donc dans cet état de désemparement total, avec la lente expiration d’une époque pesant lourdement sur mon cœur, et ma peur de l’abandon faisant s’exciter tous les radars de mon esprit, que j’ai rencontré Charlie et Patate.
Je travaille, comme chaque été depuis mes 15 ans, à la clinique vétérinaire où Maeva, la cousine de Lina, Sasha, Leia et Sam, bosse en tant que médecin. J’y suis juste une réceptionniste, officiellement, seulement là pour prendre les rendez-vous, distribuer les médicaments ou effectuer les paiements, n’ayant pas de diplôme dans ce milieu. Mais depuis cette année, Maeva me donne plus de responsabilités. Elle m’autorise à faire des diagnostiques préliminaires, à l’assister lors de certaines chirurgies, à nourrir les animaux, à remplacer leur bandage quand le besoin s’en fait sentir et à donner des conseils aux propriétaires.
Je suis folle de ce travail. J’aime tellement les animaux ! Et je crois bien que la plupart d’entre eux me le rendent. C’est la seule chose qui m’aide à tenir le coup quand je pense à la séparation qui s’opère déjà et qui sera définitive dans si peu de temps.
Ça, et cette rencontre que j’ai faite durant la troisième semaine à mon poste, donc.
Charlie est entré dans le cabinet avec ce pauvre chien errant et blessé dans les bras, alors que Maeva était sortie en intervention. Mon cœur s’est arrêté l’espace d’un instant. Je n'avais jamais rien vu d’aussi beau et d’aussi triste. Et j’avais jamais vu deux êtres se montrer aussi nerveux. On était tout seuls, tous les trois, dans le cabinet et j’ai jamais eu aussi peur de faire un faux mouvement, une erreur, qui nous aurait tous effrayé et qui leur aurait fait prendre la fuite. Alors j’ai fait mon plus grand sourire, et ai tenté d’être le plus assurée et rassurante possible. J’ai fait mon travail, et le travail de Maeva. Et j’ai même un peu essayé de faire celui de Charlie, quand j’ai appris que le chien n’avait pas de nom. J’ai proposé les premiers qui me venaient, et j’avais faim, donc c’était que des noms de barres chocolatées. Ni le chien, ni Charlie n’avaient l’air impressionnés par mon imagination.
Jusqu’à ce que je propose Patate. Je pense que le chien a dû croire que je lui demandais de me donner la papatte, parce qu’il l’a fait. Je jure qu'on s’est mis d’accord, lui et moi, patte dans la main. Lui et moi, on savait, désormais. Même si Charlie venait à objecter (et il a objecté), Patate serait son nom, entre nous. Et ce même si je devais ne jamais le revoir.
Ce qui n’allait pas arriver, cependant, car j’ai demandé à Charlie de revenir avec le chien pour que j’observe sa rémission. Je leur ai donné une heure durant laquelle je savais que Maeva serait absente, parce que je voulais être celle qui ferait le suivi.
Il m’a alors dit quelque chose qu’on me dit souvent, mais qui m’a touchée, venant de lui. Il m’a dit “Merci”.
J’ai passé la semaine à repenser à l’honnêteté cachée derrière le dernier mot que Charlie m’avait dit. C’était tellement intense, comme si j’avais sauvé sa vie aussi en soignant Patate. Comme si ce mot avait un poids que je ne lui avais jamais connu, avant ça. Comme s’il portait tous les autres mots en son sein et avait une signification plus grande que la gratitude.
Quand ils sont revenus, la semaine suivante, Patate m’a sauté dessus, surexcité et en bonne santé. Ça a empli mon cœur de joie et d’amour, alors j’ai dit en plaisantant que ça faisait longtemps que quelqu’un n’avait pas eu l’air aussi content de me voir.
Puis j’ai fondu en larmes. Devant Charlie. Comme ça, sans prévenir. Sans que personne ne s’y attende. Surtout pas moi. J’ai pleuré à en avoir la morve qui coule. Pleuré comme si toutes les larmes que j’avais retenues depuis le début de l’été s’étaient accumulées pour finalement exploser le barrage qui les contenait. Comme si le plaisir inconditionnel que Patate avait montré en me voyant avait agi comme un bulldozer en moi.
Je me suis excusée entre chaque sanglot, mais ça n’a pas eu l’air d'embêter Charlie. Il m’a prise dans ses bras et m’a laissée morver sur lui plutôt que dans le vide. J’ai laissé son étreinte me consoler, mais comme c’était la première fois que je m’autorisais à le faire, ça ne m’a pas tout de suite calmée. J’avais jamais connu ça, avant. Je ne m’étais jamais laissé connaître ce sentiment de soulagement que l’on ressent quand quelqu’un accepte de nous aider à porter un peu de notre fardeau.
Quand je me suis calmée, je ne lui ai dit qu’un seul mot, et je savais qu’il lui donnerait l’importance qu’il mérite. Qu’il entendrait tous les mots qu’il renferme en son sein, parce qu’il a créé le langage dans laquelle ils sont parlés. Qu’il comprendrait que quelque chose de fort et d’unique venait d’arriver, et que Patate et Charlie seraient à jamais gravés dans mon cœur. Que je ne pouvais plus les perdre, sans que ça me fasse un mal de… Un mal de Patate.
Je lui ai dit “Merci.”
[...]

[Date] - 18 ans
Cette semaine, je me suis fait larguée. Par texto. Après deux semaines sans nouvelles. Dire que je ne m’y attendais pas serait mentir, mais j’ai quand même été déçue. On aura tenu deux mois, avec cette relation longue distance, mais il faut croire que loin des yeux veut réellement dire loin du cœur. J’essaie de faire comme si ça ne me touchait pas, comme si ce n’était pas grave, et Cherry m’aide beaucoup sur ce point. Elle passe tout son temps libre avec moi à essayer de me distraire et m’amuser, et grâce à elle, je n’ai pas le temps de me sentir seule. Je culpabilise un peu de me l’accaparer, car je n’ai pas envie qu’elle délaisse son copain pour me faire oublier le mien, mais d’un autre côté, j’apprécie chaque seconde passée avec elle et le sentiment qui la pousse, donc je n’essaie même pas de l’arrêter.
Mais la vérité, c’est que cette relation était condamnée dès le début. Elle n’a jamais été naturelle, j’ai toujours eu l’impression que quelque chose n’allait pas. J’ai attendu tout le long qu’elle finisse par s’effondrer. Je savais que mes efforts ne seraient pas suffisants, car déjà, pour commencer, je n’ai jamais compris ce qu’il me trouvait. Et de deux, ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne trouve quelqu’un d’aussi intelligent, gentil et adorable que lui.
Peut-être que le fait que je n’ai jamais cru à cette relation est la raison pour laquelle elle a échoué. Ou peut-être que le problème était que j’en faisais trop. Peut-être que j’aurais dû le suivre à Boston. Ou le retenir. Peut-être que je n’en avais pas envie. Peut-être qu’au fond, je voulais qu’elle foire. Ou peut-être que j’avais plus besoin de lui qu’il n’avait besoin de moi. Je ne sais pas, mais je passe tout le temps qui n’est pas occupé par Cherry à essayer de comprendre ce que j’ai fait de mal, et à essayer de savoir si je l’ai fait exprès ou non.
Est-ce que je l’aimais ? Si oui, est-ce que je l’aimais assez ? Si oui, est-ce que je lui ai assez montré ? Trop montré ? Probablement “trop”, car après tout, il n’a même pas eu le cran de me larguer face à face. Il m’a d’abord ghosté, m’a même posé un lapin le weekend où on devait se voir. Puis, quand il a enfin eu le courage de me quitter, il l’a fait via texto. Est-ce qu’il avait peur de me voir pleurer ? Est-ce qu’il avait peur de ne pas me voir pleurer ? Est-ce qu’il espérait que je ne le lirais pas ? Est-ce qu’il avait besoin d’expédier la rupture pour pouvoir se mettre avec quelqu’un d’autre ? Est-ce qu’il a fait écrire le message à quelqu’un d’autre ? Est-ce qu’il avait besoin d’une preuve écrite et datée avec accusé de réception, au cas-où je conteste en disant qu’il ne m’avait jamais prévenue qu’on était séparés ?
A force de trop essayer d’être une bonne petite amie, j’ai donné l’impression que j’étais désespérée. Je ne me rappelle plus, est-ce que c’était mon idée, ou la sienne, d’essayer la relation longue distance ?
Je ne sais pas, mais Cherry vient d’arriver pour qu’on regarde Man of Steel en mangeant des bonbons, donc on verra plus tard.

[...]

[Date] - 19 ans.
Charlie et sa petite amie, Sofia, ont enfin participé à un barbecue du dimanche. Ça faisait quelques mois que j’essayais de les convaincre. Je n’insistais pas trop, parce que je ne voulais pas leur forcer la main, mais je proposais souvent. Et apparemment, Ollie l'avait déjà proposé à Sofia, il y a quelques années, quand il s’est avéré qu’elle serait pour toujours la meilleure amie qu’il n’ait jamais eu. Prenons d’ailleurs quelques secondes pour apprécier le fait que l’un de mes meilleurs amis, le seul à qui je parviens à donner un aperçu des monstres qui peuplent mon esprit, est amoureux de la meilleure amie de mon frère, et qu’on y est pour rien s’ils se sont trouvés. Charlie l’avait déjà rencontrée quand on s’est adoptés. J’ajouterai d’ailleurs que sans elle, je n’aurais probablement jamais connu Charlie, car c’est elle qui lui a donné l’idée d’adopter un chien.
Avec des coïncidences pareilles, comment ne pas croire au Destin ? Et comment ne pas croire qu’ils sont faits pour être intégrés à notre famille, à partager avec nous les repas du dimanche ? Ils ont tous les deux eu un tel impact sur Ollie et moi, c’est impensable qu’ils n’aient pas une chambre dans notre maison et un autel à leur nom. Sans Sofia, Ollie n’aurait jamais eu le courage de s’avouer et de nous avouer qu’il aime les hommes. Sans Charlie, je me laisserais bouffer par tout ce que je garde si précieusement enfermé à l’intérieur. Ils sont les gardiens de notre santé mentale. Ils sont sans aucun doute ce qui a manqué à maman.
Et ils ont enfin accepté de venir. Probablement parce que c’était mon anniversaire. Le plus beau cadeau qu’ils puissent me faire.
Ils ont enfin rencontré papa, Jo, Kiki, Jimmy, Gigi, Cherry, Teddy, Lina et Maddie. Oui, oui, j’ai dit Kiki, parce qu’il était là également, juste cette semaine là. Il a même fait passer à Charlie le test du Benjamin, juste au cas où. C’est donc avec beaucoup d’émotions que j’annonce que Charlie n’est pas un Benjamin.
Je n’ai jamais été aussi heureuse. Les voir ainsi faire officiellement partie de la famille… J’en ai versé ma petite larme, quand je les ai remerciés d’être venu en les prenant tous les deux dans mes bras, à la fin, et quand je leur ai demandé de revenir la semaine prochaine. Et la suivante, et toutes les autres, après ça.
J’ose espérer qu’ils n’ont pas eu peur. Est-ce que je les ai pris en otage ?
[...]

[Date] - 20 ans
Je ne sais pas ce que je veux faire de ma vie, et ça m’angoisse. Quand j’ai commencé mes études, je pensais que je finirais par avoir une révélation avant la remise des diplômes. Que je serais inspirée par les différentes options qu’on me proposerait. Mais rien, que dalle, nada. J’ai 20 ans, un bachelor en littérature, et aucune idée de ce que je vais devenir. A mon âge, Jo était déjà mécanicien. Ollie finissait ses études en marketing. Kiki prévoyait déjà les clichés qu’il allait prendre lors de ses nombreux voyages et Jimmy gagnait des concours de mixologie.
Et même parmi mes amis, tout le monde a déjà trouvé sa voie : Cherry veut devenir auto-entrepreneuse, Lina a rejoint l’académie de police, Teddy et Kingsley sont pompiers depuis deux ans, Gigi veut devenir éducateur spécialisé, Jared a encore deux ans avant d’avoir son diplôme d’ingénieur…
Et moi, je suis à la traîne. Je ne sais pas du tout comment faire de mes passions un métier, je ne suis même pas sûre d’en avoir envie. Tout le monde me dit que je devrais faire un travail où j’aide les gens. Assistante sociale, comme tante Alfia. Ou psy. Ou prof… Mais honnêtement, je pense que j’aurais l’impression d’être un charlatan. Je ne vois pas comment je pourrais me permettre de faire payer quelqu’un pour écouter mes conseils, ou d’être payée pour éduquer et donner des consignes. Je n’ai pas l’impression d’avoir la moindre légitimité, sur ce plan-là.
J’aimerais pourtant. En particulier être prof, surtout de petits enfants. J’adore m’en occuper, leur faire faire des dessins, éveiller leur curiosité, ouvrir leurs esprits. Mes expériences avec Maddie et Tommy en tant que babysitter sont probablement mes plus beaux souvenirs en date. Mais entre être babysitter et enseignant, il y a tout un monde.
Je ne sais pas quoi faire, donc en attendant, je bosse dans une bibliothèque en tant que documentaliste. Au moins, je suis entourée de livres et ça ne demande pas beaucoup de responsabilités. Personne ne dépend de moi. Ça ne traumatisera personne si je fais une erreur en rangeant un bouquin.
Mais j’ai jamais rien fait de si peu passionnant. Qu’est-ce que je m’ennuie ! Le seul vrai bon point de ce job, c’est que j’ai le temps et l’occasion de m’évader en utilisant ces fenêtres loin de la réalité. J’échappe au monde qui m’entoure en lisant les livres ou en regardant les DVD proposés dans la médiathèque. Parfois, la vie de ces personnages fictifs devient tellement vraie dans mon cœur que j’ai presqu’envie d’en parler comme si je partageais leurs aventures.
La réalité ne fait pas le poids face à ces mondes inventés.
Et tant que je les ai, je n’ai pas besoin de réfléchir à ce que l’avenir me réserve ou de penser à mon passé. Je n’ai qu’à trouver ma place dans ces histoires.
[...]
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Ashley Wallace

Ashley Wallace


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MessageSujet: Re: Ashley Wallace Ashley Wallace Icon_minitimeVen 9 Juil - 19:09

» Son histoire (suite) «

[Date] - 20 ans
C’est officiel. Cherry et moi avons enfin passé le pas. Nous avons enfin accompli notre Destin. Après une décennie et demi d'entraînement et de préparation physique et mentale, nous l’avons fait.
Nous avons pris un appartement ensemble. Et on l’a appelé “Micassaéssoucassa”. C’est un peu long, mais c’est toujours mieux que Robert, je pense. Aucune de nous n’avait prévu de l’appeler Robert, hein ! On est pas des bêtes ! Et puis je plaisante. J’ai rien contre les Roberts. Et puis… pourquoi j’me justifie à mon journal intime, d’abord ??
Je suis tellement excitée. Pourtant, je le sais, c’était la chose la plus naturelle au monde. Il ne gèle pas en Enfer, les poules n’ont pas de dents, il ne pleut pas des grenouilles. Dans l'enchaînement de nos vies, c’était inévitable.
Et ce n’est pas juste parce que c’est Cherry, que je suis excitée. Bien sûr, c’est en grande partie pour ça, car nous n’aurons plus besoin de synchroniser nos montres pour pouvoir passer du temps ensemble.
Et ce n’est pas non plus juste parce que c’est mon premier appartement, la première fois que je vais payer un loyer, que je pourrais vivre sans avoir de compte à rendre, sans couvre-feu. Le premier pas dans ma vie d’adulte.
Mais c’est aussi parce que c’est la première fois de ma vie que je vais partager ma maison avec une fille.
On pourra avoir de la décoration féminine. La lunette des toilettes pourra rester baissée. D’ailleurs, il n’y aura personne pour dire “Ouuuh, tu as envie de faire pipi… J’attendrais une petite demi-heure, si j’étais toi.”. Je pourrai laisser mon rasoir dans la salle de bain. Il y aura toujours des tampons, car je ne serai pas la seule à avoir besoin d’en acheter. Le bac à linge sale ne sentira pas le tee-shirt porté pendant 5 jours et le caleçon fatigué. Quand j’aurai à faire mes propres lessives, ce ne sera pas parce que mes frères n’auront pas envie d’étendre mes petites culottes.
Ça sentira bon. Tout le temps. Comme chez tata Alfia.
En plus, Cherry fera des gâteaux.
Par contre, il n’y aura personne pour tuer les araignées… Heureusement qu’on y sera pas toujours toutes seules. On a une troisième chambre exprès pour les autres et notre canapé peut faire lit, aussi. Ce n’est pas seulement chez Cherry et moi. Ce sera chez tout le monde. Lina a déjà une clef, et on est en train de faire celles de Gigi, Teddy et Charlie.
Sans compter que notre voisin de palier, c’est Jared. C’est lui qui nous a aidé à trouver l’appartement. Il s’est déjà proposé pour venir chasser le cafard, si besoin. Je dois avouer que j’ai eu un peu peur, quand il a dit ça. Je ne m’attendais pas à ce qu’avoir des cafards soit une possibilité. Il a donc dû passer les cinq minutes suivantes à me promettre qu’il plaisantait, mais trop tard… Je me suis empressée de mettre de la bombe protectrice et de tout désinfecter. Et, pour l’instant, je ne dors que d’un seul œil.
Tant mieux cela dit, car on n’a encore que deux verrous, pour l’instant. Cherry n’a rien dit, mais je suis sûre qu’elle est aussi vigilante que moi. Je crois que si on avait peur d’être des mauviettes, on dormirait dans la même chambre, main dans la main.
Comme on l’a fait le premier soir. Et le deuxième. Et le troisième…

[...]
[Date] - 21 ans
Aujourd’hui, j’ai rencontré une célébrité. C’était une rencontre un peu bizarre, parce que j’ignorais que c’était une célébrité. Mais vu comme il était beau, mais genre “pas de ce monde” beau, j’ai eu aucun mal à le croire, quand il m’a dit qu’il était mannequin. Je l’ai quand même googlé, en rentrant, juste pour être sûre, et effectivement, il y a beaucoup de photos de lui torse-nu, sur internet. J’ai chaud rien que d’y penser.
Le plus fou, c'est qu'il a absolument voulu que je lui donne mon numéro de téléphone afin qu'on puisse se revoir. Oui oui, c’est lui qui a insisté. Il voulait mon numéro. Je lui ai demandé avec qui il avait parié, il a eu l’air choqué. Il faudrait être folle pour ne pas vouloir le revoir et pourtant, j’ai refusé. Parce que j’étais sûre que ça puait le coup monté. Il pouvait pas vraiment être intéressé. Il peut littéralement avoir toutes les filles qu’il pourrait vouloir. Je le savais pas encore, à ce moment-là, mais il a même des photos avec Sofia. SOFIA ! La plus belle femme de la terre.
Il n’a pas la moindre excuses pour me faire les compliments qu’il m’a fait ce soir. Vraiment, on marche sur la tête. J’veux dire… C’est pas pour insister, mais il est vraiment beau, charmant, attentionné et drôle. Il aurait pu ne pas être riche qu'il aurait déjà tout en commun avec un Prince Charmant. Il s’appelle Vince Roberts, et j’avoue, je glousse encore en repensant à cette rencontre.
Comme je continuais de refuser de lui donner mon numéro de téléphone, il m’a demandé de rester où j’étais et il est sorti du bar. Je m’attendais à ce qu’il ne revienne jamais, mais j’ai quand même pas bougé. Je voyais bien Lina me regarder surveiller la porte, mais j’ai fait semblant de pas me sentir observée. J’avais peur de voir de la pitié dans ses yeux. Y’en avait peut-être pas, mais au fond, je ne pense pas qu’elle puisse comprendre non plus. Lina est aimée depuis si longtemps, elle n’a jamais eu besoin de s’accrocher à la moindre attention qu’on lui donne, s’en sachant indigne, mais ne pouvant s’en passer.
D’un autre côté, s’il n’était pas revenu, je n’aurais pu m’en prendre qu’à moi-même. De quel droit est-ce que je me permettais de refuser un homme pareil ? J’veux dire, pour qui j’me prenais ? Je veux dire, certes, s’il s’était s’agit d’une farce, j’aurais protégé ma dignité. Mais si ce n’était pas une farce… Alors j’aurais activement repoussé quelqu’un qui voulait réellement passer du temps avec moi. Qui m’avait choisie, moi. Une part de moi espérait qu’il ne revienne pas. Qu’il se soit lassé. Que je puisse continuer à me dire que j’avais eu raison de ne pas mordre à l’hameçon, même si ça voulait dire que j’étais peut-être passée à côté de quelque chose de beau.
Mais il est revenu, et avec un bouquet. J’ai eu beau demander, il a refusé de me dire où il avait trouvé un bouquet à cette heure-ci. Il s’est placé devant moi, à poser un genou au sol, a pris ma main et m’a demandé  - et je ne mens pas, je jure qu’il a dit ces mots-là, exactement - de lui faire l’honneur de le suivre, car mon carrosse attendait. Il a montré la rue de son bouquet et par la fenêtre, j’ai vu une calèche, avec un conducteur qui refusait un couple qui avait l’air de vouloir louer ses services. Puis il m’a tendu le bouquet, et je suis sûre que j’avais l’air plus rouge que les roses qu’il m’offrait. J’ai regardé Lina, qui a mis ses mains au-dessus de ses épaules, l’air de dire que  j’étais une grande fille et que c’était à moi de décider et j’ai compris qu’elle me disait qu’elle soutenait mon choix, quelqu’il soit… Même si c’était clair qu’elle trouvait ça mièvre au possible et que ce surplus de fromage dégoulinant la dégoûtait un peu. Elle a dit « Moi je vais rentrer, de toute façon. » Bon bah j’avais sa permission.
J’ai fini mon verre d’une traite, me disant alors que même si c’était une farce, un pari ou quoi, tant pis. J’avais plus à perdre en ne le faisant pas. J’ai pris le bouquet et je me suis levée. Il m’a fait un grand sourire et sans lâcher ma main, m’a conduite vers la calèche.
Il faisait un peu froid, donc il m’a donné sa veste. Les yeux de Lina avaient raison, c’était cliché au possible, mais pour moi, c’était tout. Il avait une façon de me regarder, j’en étais toute remuée. J’aurais jamais cru que j’aurais un jour le droit d’être une héroïne de comédie romantique.
Mais ce soir, je l’étais. Il a dit tout ce qu’il fallait, de la manière qu’il fallait. Il a été un gentleman du début jusqu’à la fin, m’a même raccompagnée à mon immeuble, et m’a fait un baiser sur la main, avant de partir, avec, enfin, mon numéro de téléphone. J’avais à peine monté les étages qu’il m’avait écrit, me disant à quel point il était content de m’avoir rencontré.
J’suis pas un monstre, j’ai d’abord écrit à Lina pour lui dire que tout allait bien, que ce n’était pas un serial killer et que j’espérais qu’elle était bien rentrée.
Mais là, faut que j’y aille, il a répondu. J'ai hâte que Cherry revienne de chez Marvel pour tout lui raconter. Et j'ai hâte qu'elle adopte Vince. Qu'elle s'emballe pour moi, qu'elle ose planifier notre mariage tandis que j'essaierai de la calmer, du haut de mon nuage.
Je crois que j'ai jamais été aussi heureuse. Je me demande ce que je vais faire pour gâcher tout ça.

[...]
[Date] - 22 ans
Si on m’avait dit qu’un jour, je serais responsable de quelqu’un, j’aurais ri. Bien sûr, j’ai toujours voulu des enfants, ce n’est pas la question. J’ai imaginé la progéniture que j’aurais avec quasiment tous les hommes avec qui j’ai voulu être ou ai été (ou suis actuellement). Mais je ne me suis jamais rendue compte de ce que ça voulait réellement dire. Je n’ai jamais réalisé que ça signifiait que quelqu’un dépendrait physiquement, mentalement, légalement ou moralement de moi. Mais maintenant, j’ai les yeux en face des trous.
Et je suis responsable de quelqu’un.
Et je viens d’avoir une nouvelle crise d’angoisse en écrivant ça.
Cet été, Sara m’a appelée pour m’annoncer qu’à la rentrée, elle allait rejoindre un lycée de New York. Sans se faire renvoyer, elle avait été encouragée à quitter l’internat dans lequel elle avait passé ses deux premières années de lycée, et, ne se faisant pas prier, ayant apparemment vécu une expérience là-bas qui avait l’air plutôt négative, elle avait décidé qu’elle avait besoin de changement pour les deux suivantes. “Le plus loin possible de Sandy”. Et ça tombe bien, rien n’est plus de Sandy que mon appartement. Dans tous les sens du terme.
C’est donc tout naturellement, et après en avoir parlé à Cherry et à tous ceux à qui la troisième chambre appartenait, que j’ai proposé à Sahara Stanford, 16 ans, de venir vivre chez moi. Vince m’a dit que c’était une erreur, que j’étais pas prête. Il a raison, bien sûr, mais j’ai quand même insisté. Pour plusieurs raisons.
1. C’est Sara.
Sara est ma plus jeune cousine, et malgré le peu de fois où je l’ai vue, j’ai toujours eu une préférence pour elle. C’était la seule autre fille de la famille. Et même si c’est moins flagrant chez elle, je trouve qu’elle aussi ressemble à maman. En plus, Sara est drôle, piquante. Elle n’a peur de rien, mais elle est incroyablement vulnérable et a définitivement besoin qu’on lui montre qu’on l’aime et qu’on croit en elle. Et je l’aime et je crois en elle.
2. C’est la plus jeune de notre génération de Stanford.
C’est comme prendre l’amour et la sécurité qu’on m’a donné en tant que dernière d’une longue lignée et les transférer à la véritable dernière d’une lignée un peu plus longue qu’on ne le croyait. Ok, ce que je dis n’a aucun sens, mais ma logique est logique. Sara est la plus jeune de notre génération. Maddie est la génération suivante, donc dans le contexte, elle ne compte pas (même si, on est d’accord,en vrai, elle compte, bien sûr qu’elle compte.)
Sara n’a jamais connu de véritable cocon familial. Son père l’a abandonnée aussi efficacement qu’il m’a abandonnée et sa mère donne presque l’impression que la mienne est une mère modèle. Au moins, la mienne a une excuse. Sara mérite de savoir enfin ce que c’est que de recevoir le traitement réservé aux filles Wallace. C’est comme une couverture de sécurité. L’amour inconditionnel, la protection… Mais elle mérite aussi de ne pas se faire étouffer par la masculinité de mes frères et mon père. Je les aime, mais j’ai eu cruellement besoin d’une touche féminine toute ma vie, et s’il y a bien quelque chose que je peux faire pour Sara, c’est la lui donner. Je suis Sam Beckett : je saute dans le rôle d’un autre pour réparer les erreurs du passé.
3. On a une chambre supplémentaire.
Ce que ça dit. Et je l’ai encouragée à la décorer.

Toujours est-il qu’après avoir passé les 22 dernières années à être traitée comme une enfant qui ne sait pas se débrouiller toute seule, c’est bizarre et rafraîchissant d’être celle sur qui l’on compte. Même s’il est évident que Sara est parfaitement capable de se débrouiller, elle a l’air d’apprécier l’attention que je lui porte. Et je dois avouer que ça m’apporte autant qu’à elle. Elle avait besoin d’avoir un foyer. Et j’avais besoin d’avoir un point d’ancrage. Car tant que je dois rester en seul morceau pour la guider, je ne peux pas m’évaporer au gré de mes angoisses.

[...]
[Date] - 22 ans
Je suis un peu confuse par l’amour, je dois l’avouer. Tous les poètes, les scénaristes, les écrivains, les chanteurs, Cherry… Ils donnent tous l’impression qu’il s’agit de quelque chose de vital, de transcendant, de magnifique. L’amour a des ailes, L’amour brille sous les étoiles, L’amour est enfant de bohème et tout le tintouin… Mais c’est faux. C’est de la publicité mensongère. Et j’ai deux expériences différentes et distinctes, mais qui le prouvent chacune à leur manière. L’amour est tout simplement une constante source d’angoisse.
Même durant les moments plein de tendresse, de paix et de plaisir, j’ai le cœur serré, attendant, l’estomac baignant dans la panique, le moment où je vais tout gâcher. Et ce moment arrive toujours, de manière inévitable. Jared était trop poli pour me le faire remarquer, jusqu’à son fameux SMS. Il ne m’a jamais rien reproché, même s’il avait de quoi.
Vince n’a pas sa patience.
Du tout.
J’ai très vite compris que Vince était plus exigeant que Jared. Il en attend plus de moi, et même s’il ne le dit pas, je sais qu’il y a des consignes à respecter pour mériter sa tendresse. Je ne dois pas faire passer mes amis avant lui. Je ne dois pas me retrouver seule avec un autre homme. Je ne dois pas l’embêter quand il est avec ses potes. Je dois lui prouver que je l’aime aussi souvent que possible. Je dois arrêter d’être immature. Je dois éviter de l’embarrasser. Je dois arrêter de perdre du temps que je pourrais passer avec lui à lire ou à voir des films. Je ne dois pas avoir de secret pour lui. Je dois me maquiller plus souvent pour être plus jolie. Je dois toujours être disponible quand il a envie de sexe… etc, etc…
Il ne m’a jamais énoncé ces règles de vive voix. J’ai dû découvrir ces conditions en faisant des erreurs qui m’ont valu de vives remontrances, des remarques cinglantes et des mots blessants, me rappelant que je ne suis pas adéquate. Toujours par amour, toujours de manière constructive, il m’assure. Et je tiens à préciser que même s’il a déjà été assez brutal pour me faire mal, il ne m’a jamais frappée. Il n’est pas violent, je ne suis pas battue, on n’abuse pas de moi. Mais j'ai internalisé les règles tacites et les conséquences, pour finir par respecter les consignes de manière automatique, sans qu’il n’ait besoin de me le demander et sans que je n’ai besoin d’y penser. J’apprends de mes erreurs. Parce que c’est ce que font les bonnes petites amies qui veulent plaire à l’homme qu’elles aiment. Elles respectent les consignes, pour qu’il ne les abandonne pas.
Il paraît qu’être en couple demande des compromis. Des sacrifices. Et ce n’est pas à sens unique. Quand ma voiture est tombée en panne, il m’a laissé utiliser la sienne pour aller au travail en attendant que j’en achète une nouvelle. Il me fait à manger et me laisse dormir chez lui à chaque fois que je dois ramener la voiture tard, après avoir fait la fermeture. Il s’occupe de moi quand je suis malade, me préparant ou me commandant de la nourriture qui me réconforte. Il me laisse rester chez lui aussi, à ces moments-là, pour ne pas que je contamine Cherry et Sara. Il a même invité mes amis quelques fois, parce qu’il préfère être avec moi quand je les vois. Il préfère également que ce soit chez lui, pour que l’on soit dans un endroit confortable et familier. Contrôlé. Puis j’aime quand mes amis sont là, car ça le rend toujours d’humeur câline, comme s’il avait peur que je m’évapore s’il arrêtait de me toucher, de m’envelopper.
Il essaie aussi de venir aux barbecues du dimanche quand il le peut, même si l’occasion est rare. Il lui arrive souvent d’être occupé, le week-end, donc il ne peut pas toujours venir. Mais quand il vient, il s’entend toujours bien avec ma famille. Il est jovial, presque séducteur, et mes frères l’apprécient parce qu'ils savent qu’il dit la vérité quand il promet qu’il me tient à l’écart des problèmes.
Bien sûr, ce n’est pas toujours facile. On n’appellerait pas ça des sacrifices s’ils étaient faciles à faire. Il y a des choses que je ne peux pas contrôler, des situations que je ne peux pas éviter, des secrets que je ne peux pas partager.
Charlie, Teddy et Kingsley sont des sujets tabous, avec Vince. Il déteste l’idée que je passe du temps seule avec eux. Il est extrêmement jaloux de ma proximité avec eux et est persuadé qu’ils me veulent pour eux tous seuls. Ce qui est paradoxal, puisqu’ils sont les dernières personnes avec qui je pourrais partager quelque chose ne serait-ce qu’un tant soit peu romantique ou charnel. Ils sont magnifiques, à l’intérieur comme à l’extérieur, je le sais, mais ils sont si… eux. L’idée qu’il puisse un jour se passer quoique ce soit avec eux me paraît absolument inapproprié. Et puis, ils sont indisponibles, de toute façon. Et même s’ils ne l’étaient pas, moi, je le suis. Et même si je ne l’étais pas, il n’y a pas la moindre chance qu’ils me voient comme autre chose que leur petite sœur. Mais selon lui, je suis trop naïve et je ne me rends pas compte de la proie que je peux être. Je suis, selon lui, la cible rêvée pour des prédateurs. Et, d’après lui, il n’y a pas pires prédateurs que les pompiers et les barmen.
Malheureusement, cela veut dire que je suis obligée de les éviter. Je n’ai pas eu de conversation en tête à tête avec Teddy depuis des semaines, voire même des mois, et il me manque affreusement. Je le vois quand je vois les autres, mais c’est tout. Il a essayé de me prendre en embuscade, une fois, pour me demander d’un air amusé si je l’évitais, ne s’attendant visiblement  pas à ce que ce soit réellement le cas. J’ai essayé de plaisanter pour ne pas avoir à mentir, tournant la réalité en sarcasme, mais je crois que la nervosité à l'idée d’être seule avec lui alors que Vince n’était pas là et de devoir cacher la vérité à Teddy a transformé ma voix. Quand il s’est rendu compte que ma tentative de légèreté était une façade, un éclair d’inquiétude est passé sur son visage, et il m’a demandé s’il avait fait quelque chose de mal. L’idée qu’il puisse penser être le problème m’a tellement fait de peine que j’ai failli tout lui avouer, mais je me suis retenue et lui ai promis que ça n’avait rien de personnel, que j'ai juste été très occupée, et que j’étais désolée de lui avoir donné l’impression que je l’évitais. J’ai juré de faire plus attention et de lui accorder plus de temps, puis je me suis éclipsée avant qu’il n’essaie de m’enlacer, même si j’avais vraiment besoin de sentir sa chaleur et ses bras forts et protecteurs autour de moi, comme avant. Je ne veux même pas imaginer la réaction de Vince si je laissais Teddy ou qui que ce soit d’autre me toucher. J’ai tellement pris l’habitude de garder mes distances que j’ose à peine laisser Jo me prendre dans ses bras.
Le plus difficile est de naviguer la situation avec Charlie. Je ne peux pas ne pas passer du temps avec lui, mais je ne peux pas défier Vince. Je prends donc soin de ne jamais aller chez lui si Sofia n’est pas là, et, en dehors des barbecues du dimanche, c’est le seul endroit où je m’autorise à les voir. Sofia est enceinte, de toute façon, j’ai donc une justification toute trouvée. Je m’en veux un peu, car j’ai l’impression que je l’utilise comme une excuse pour avoir le droit de voir Charlie au moyen d’une faille, d’un stratagème, et ce n’est vraiment pas ça. Du moins, pas entièrement. La vérité, c’est que je me sens en sûreté, lorsqu’elle est présente. Abritée contre la colère de Vince. Défendue contre mes insécurités. Elle est si forte et si impressionnante. Si aimante, si protectrice. Elle me donne du courage. Si je pouvais apprendre à être un peu plus comme elle, je n’aurais pas besoin de vivre dans l’angoisse de ne jamais être à la hauteur.
Et ce n’est pas comme s’ils se rendaient compte de ce qu’il se passait. Et c’est là l’autre raison principale qui me force à ne jamais rester seule avec Charlie, d’ailleurs. Il saurait que quelque chose ne va pas, et je ne peux pas cacher mes émotions derrière un sourire, avec lui, il me connaît trop bien pour ça. Pas que Cherry et le reste de ma famille ne me connaissent pas, mais ils ont passé tant d’années à vivre avec mon masque que pour eux, il s’agit forcément de mon vrai visage. Si je restais seule avec Charlie, il lirait à quel point ça me rend nerveuse et je serais incapable de lui mentir. Et j’ai beau savoir que Vince m’aime, je sais que personne ne comprendrait qu’il n’est pas méchant, dans le fond. Personne ne le connaît comme je le connais. Certes, il peut parfois se montrer injuste, mais c’est simplement parce qu’il veut le meilleur pour moi, pour nous. Il n’a pas eu une enfance facile et il a besoin de quelque chose de stable. Il a besoin de quelqu’un qui soit toujours là pour lui, qui fasse des efforts pour lui. Qui soit prête à tout pour lui.
Il a besoin de ne plus avoir à demander “Tu veux qu’on se sépare ? C’est ça que tu veux ?” d’un air désespéré.
J’ai donc besoin d’arrêter de lui donner des raisons de poser cette question.

[...]
[Date] - 22 ans
Il faut que je commence par l’horreur et que je finisse par la magie, car sinon, je ne parviendrai pas à reprendre ma respiration.
On a failli perdre Sofia. Je n’en reviens pas d’avoir à écrire ces mots, et j’en reviens encore moins de les savoir vrais. Ça paraît fou, invraisemblable, terrifiant. Un cauchemar. Le pire cauchemar. Celui dans lequel les grands tombent. J’ai pas été capable de respirer de façon régulière depuis qu’on a appris qu’il y avait eu des complications. J’aurais arrêté de respirer complètement si je ne me devais pas d’être là pour Charlie.
Quand il m’a appelée, j’ai honte, mais ma première réaction a été d’avoir eu un instant de panique en pensant à ce que Vince allait dire, me sachant seule avec Charlie.Tout ça n’a duré qu’une seconde, avant que j’encaisse la raison de son appel, que je l’absorbe jusqu’à ce qu’elle torture mes poumons. La peur de Vince n’était rien contre cette terreur. Et j’ai pensé à Charlie et à sa propre angoisse, et rien, rien, n’aurait pu me tenir éloignée de mon meilleur ami à ce moment-là. Surtout pas les secrets.
J’ai foncé à l’hôpital et honnêtement, je me rappelle juste m’être demandée pourquoi c’était si tôt. Est-ce que le temps s’était envolé ? Est-ce que j’avais arrêté de le regarder passer ? Peut-être que c’était mon cerveau encore endormi, ou peut-être que j’étais trop terrifiée pour penser clairement, mais je n’arrivais plus à me rappeler si neuf mois s’étaient déjà passés. Il s’avère que non, mais l’idée que le bébé soit prématuré a refusé de me traverser l’esprit. Je crois que j’étais en plein déni. Il ne pouvait pas être en danger. Il n’avait pas le droit d’être en danger. Déjà, Sofia, c’était trop. Le bébé se devait d’aller bien.
J’ai trouvé Charlie assis dans le couloir, et j’ai dû m’arrêter avant d’entrer dans son champ de vision, afin de faire preuve de cohérence lorsque je lui parlerais. Je ne pouvais pas me permettre d’être plus mal en point que lui, il avait besoin de moi. Je ne me suis pas arrêtée longtemps. Le temps d’un souffle, je trottinais déjà vers lui et l’ai pris dans mes bras. C’est le premier contact que je me suis autorisée avec lui depuis des mois. J’en aurais pleuré tellement ça m’avait manqué. Il s’est excusé de m’avoir réveillée, mais il savait déjà que je n’aurais pas supporté d’apprendre qu’il avait traversé ça sans moi. J’avais autant besoin d’être là pour lui qu’il avait besoin de moi.
Une fois le premier contact effectué, ça a été extrêmement facile de ne plus le lâcher. De garder ses mains dans les miennes, de frotter doucement son dos. De le garder dans notre réalité, d’être son ancre, sa ligne de vie. C’était comme respirer. Je ne pensais même plus à Vince, rien d’autre n’avait d’importance que mon meilleur ami et sa famille. Ma famille.
On a attendu ensemble que Sofia nous revienne.
Elle devait nous revenir.
Elle ne pouvait pas ne pas nous revenir.
On a attendu que le bébé nous rejoigne.
Il devait nous rejoindre.
Il ne pouvait pas ne pas nous rejoindre.
On a attendu jusqu’à ce qu’on ait plus besoin d’attendre.
Jusqu’à ce qu’on nous rende Sofia, qu’on nous donne Aaron.
Aaron. C’est son nom. J’ai vérifié sa signification. Je ne sais pas si Charlie et Sofia le savent, mais ce prénom a plusieurs significations. L’une d’entre est “celui qui vient de loin”.
Approprié.
Il vient de loin. Et il ira loin, j’en fais le serment. Il est fait pour tenir la distance. Il a été forgé par l’union des deux cœurs les plus résilients qui puissent exister. Je m’en veux tellement d’avoir douté un seul instant. J’aurais dû savoir que Sofia n’allait jamais abandonner. J’aurais dû savoir qu’Aaron serait un battant.
J’aurais dû savoir qu’après la terreur ne vient pas toujours la souffrance.
Il y a aussi l’espoir. La renaissance.

[...]
[Date] - 22 ans
L’avion de Vince a décollé, hier, et je viens de passer deux jours à espérer qu’il ne soit pas monté dedans. Qu’au dernier moment, il ait décidé de rester et que d’une minute à l’autre, il allait frapper à ma porte pour prouver qu’il m’aime comme Rachel aime Ross. Que je n’ai pas gâché ces 18 mois à tout encaisser. 18 mois à me priver du soutien de mes amis. 18 mois à le faire passer avant tout.
Mais j’attends toujours.
J’ai dû passer les dernières 24h à regarder l’inquiétude sur le visage de mes amis et ma famille qui essayaient d’être là pour moi, quand tout ce que je voulais c’était le voir lui. Je ne compte pas le nombre de fois où, en entendant quelqu’un à la porte, j’ai regardé avec espoir, attendant, en dépit du bon sens,que ce soit lui, pendant que mes amis, eux, attendaient que je craque. Mais je ne craquerai pas. Ils peuvent calmer leurs angoisses. Je sais encore comment retenir les petits morceaux de mon être brisé. C’est plein de gros scotch de partout, mais ça tient encore. J’ai envie de leur dire d’arrêter d’attendre que je tombe en morceaux à chaque seconde. Ils ne m’ont jamais vue réellement triste, ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer.
“S’il est parti comme ça, c’est qu’il ne te méritait pas”, j’ai entendu. “Mais quel connard, de s’être barré sans prévenir !”, on m’a dit. Et j’ai souri, parce que je ne savais pas quoi répondre d’autre. Puis j’ai changé de sujet, à chaque fois que ça revenait sur le tapis. Je n’ai pas envie de parler. Je n’ai pas envie qu’on le traite de connard. Je n’ai pas envie de croire que je suis mieux sans lui. Je n’ai pas envie de me battre. Je n’ai même pas assez d'énergie pour me défendre, le défendre, défendre les 18 mois qu’on a vécu.
Après 18 mois à me dire qu’il ne pouvait pas vivre sans moi, qu’il ne pouvait pas supporter l’idée qu’on soit séparés, il m’a dit que je n’étais pas le centre de son univers. J’aimerais n’être celui de personne, parce que je n’ai plus le mien.
J’ai l’impression d’avoir perdu ma raison de me lever le matin, parce qu’il avait réussi à faire de moi son satellite. Je tournais autour de lui comme la Lune tourne autour de la Terre, et maintenant, je ne sais plus autour de quoi tourner.
J’aimerais pleurer, mais je suis surtout hébétée. Je ne comprends pas ce qui m’arrive, ce que j’ai fait de mal. J’ai forcément mérité ça, mais je ne sais pas pourquoi. J’ai pourtant tout fait, tout donné. Je dois être vraiment dure à aimer, si même quand je fais de mon mieux, j’atteins ce résultat.
Vince a quitté le continent, et c’est à cause de moi. Je ne suis pas mélodramatique, je n’invente rien, il me l’a presque dit. Il est parti à cause de moi. Et peut-être que ça ne ferait pas aussi mal s’il avait été le premier. Mais lui, ma mère, mon oncle… Ils ne sont pas partis juste parce que je n’ai pas réussi à les retenir, ils ont disparu de ma vie parce que j’étais dans la leur.
C’est à se demander pourquoi et comment les autres me supportent. Est-ce que c’est parce qu’ils le doivent ? Parce qu’ils sont trop gentils pour m’envoyer chier ? Ou parce qu’ils n’ont pas trouvé l’occasion de pouvoir s’en aller ? Est-ce qu’ils attendent que je le fasse ?
Est-ce que je devrais disparaître ? Ou au contraire, redoubler d’effort pour me rendre supportable et justifier ma présence ? Être là pour eux sans rien demander en retour ? Devenir un meuble, utile, pratique, solide… Mais posé contre un mur, où il ne gêne pas ?
On ne s’inquiète pas pour nos étagères. On ne se demande pas si elles supportent le poids de ce qu’on leur pose dessus. On ne s’y attache pas, malgré les années de service. On n’a pas besoin de quitter la maison, l’Etat ou le Continent, si on ne veut plus de nos meubles. On peut les démonter et les mettre à la benne. Ou recycler les planches pour en faire autre chose.
Un autre meuble. Ou peu importe.

[...]
[Date] - 23 ans
Si peu de temps après Sofia… Pourquoi l’Univers essaie-t-il de nous enlever nos piliers, les plus forts d’entre nous ?
Je vais exploser. J’ai l’impression d’avoir un cri coincé dans ma poitrine, mais que je n’arrive pas à le pousser. Ça fait plusieurs jours, semaines, mois... Je ne sais plus, mais ça ne passe pas. J’ai beau souffler, soupirer, bander tous mes muscles pour les relâcher soudainement, me rouler en boule en pleurant dans un coin de ma chambre, me frotter le sternum à m’en faire mal, il n’y a rien qui soulage. J’ai l’impression que c’est l’émotion de trop, celle qui va me faire déborder, craquer, me fissurer. Mais je ne sais plus comment la libérer. Je n’ai jamais su et cette fois, c’est sûr, je ne saurais jamais. Je n’arrive pas à parler quand on le mentionne. J’essaie, j’aimerais, comme Cherry, parler de lui au futur, comme si je savais qu’il allait revenir, mais je ne peux même pas prononcer son nom. Je n’ai pas envie d’y penser, mais je n’arrive pas à l’oublier. Je n’ai même pas eu le temps de m’excuser pour ces derniers mois. Je n’ai jamais retrouvé le chemin vers ses bras.
Pour autant que je sache, il a sombré en croyant que je le détestais.
Mais assez !
Je ne veux pas penser à ça. Je ne peux pas me permettre de me concentrer sur ma culpabilité, et encore moins sur ma peine. Si j’y regarde de trop près, je vais me désagréger.
J’étais chez Charlie quand Gigi m’a appelée. Avec Aaron qui venait de naître et Sofia qui était encore fragile après l’accouchement, ils ne pouvaient pas faire la fête avec Cherry et moi. J’ai cru qu’ils étaient ceux qui auraient le plus besoin de moi, ce soir-là, alors je suis allée chez eux, sachant que je pouvais rattraper avec les autres plus tard. Je ne savais pas. J’ignorais que je serais absente le soir où Gigi, Cherry et Lina auraient le plus besoin de moi…
La voix de Gigi au téléphone m’a secouée. J’aurais voulu ne jamais entendre ses tremblements. J’aurais voulu devenir sourde. Mais je n’avais pas le droit d’avoir mal à ce point, je n’avais pas le droit de m’approprier cette souffrance. Cette douleur n’était pas la mienne. Elle ne l’est toujours pas. Je n’ai pas le droit de me refermer sur moi-même et de patauger dans mon malheur. Je ne me sens pas légitime dans cette agonie.
Mes amis passent avant tout, avant moi, mais je me sens tellement impuissante face à leur peine. Là où Teddy remplit d’habitude l’espace de sa joie de vivre se trouve désormais un vide sidérant. Toutes les couleurs sont voilées par l’absence qu’il a laissée.
Honnêtement, je ne sais pas quel espoir il peut y avoir, après ça.
Mais Lina a besoin de moi.
Teddy est l’un de mes meilleurs amis, un autre de mes frères. Mais pour Lina, il est tout. Je n’arrive même pas à concevoir l’ampleur de ce qu’elle doit ressentir, et pourtant, j’ai des absences et des injustices partout dans l’âme. J’aimerais tant pouvoir l’aider à porter son fardeau. J’aimerais échanger ma place avec Teddy, pour qu’elle le retrouve. Si je pouvais, je troquerais mon âme, la braderais, même, pour que celle de Lina retrouve sa sœur.
Gigi a besoin de moi.
Teddy est son premier ami masculin à ne pas porter son nom de famille, mais à être son frère quand même. C’est son allié, et leur relation n’a pas été commandée par les liens du sang, mais par ceux du cœur. Le fait qu’ils se soient choisis rend leur lien si beau, si spécial. L’état de Teddy est probablement la pire chose qui aurait pu lui arriver, et ça me rend d’autant plus triste que j’ai toujours voulu pouvoir le protéger de tout.
Cherry a besoin de moi.
Elle aime si fort, tout le temps, et Teddy existe pour être aimé. Je la prends dans mes bras dès que je sens que ça ne va pas. J’essaie de contenir sa peine pour qu’elle ne déborde pas de son cœur pourtant si grand et, s’il le faut, l'absorber. L’âme de Cherry est trop belle pour que je laisse les regrets la défigurer.
Jimmy a besoin de moi. Ça, je ne m’y attendais même pas.
Je n’aurais jamais cru le voir en avoir marre, à ce point. Il avait l’air de vouloir frapper quelque chose ou quelqu’un quand je suis allée lui rendre visite, et l’espace d’un instant, j’aurais presque voulu que ce soit moi, afin d’être assommée et de ne plus rien pouvoir rien ressentir, enfin. Mais il ne l’a pas fait, et il a craqué dans mes bras. C’est la première fois, de toute notre vie, que je le vois se décourager, comme ça. Il m’a dit :  “D’abord Ethan. Maintenant Teddy.” Et je n’ai pas su quoi répondre. Je n’ai pas connu Ethan, et j’oublie souvent que Jimmy l’a côtoyé. Pire, c’est lui qui a dû s’occuper de ses funérailles, car Shanya n’était pas en mesure de le faire. Je ne connais d’Ethan que les histoires que Shanya raconte quand elle vient voir Cherry, mais il avait l’air d’un être tout ce qu’il y a de plus parfait. Je me demande si Cherry se dit aussi parfois que Teddy et lui se seraient adorés, quand Shanya le mentionne.
J’ai serré mon frère plus fort, parce que c’est tout ce que je pouvais dire. J’aurais voulu pleurer avec lui, pour que nos peines se fassent échos, mais il avait besoin de moi pour la première fois et je n’avais pas envie qu’il se dise que je ne pouvais pas encaisser ses larmes.
Ce qu’il a dit ensuite, cependant, a manqué de me faire vaciller. Son visage enfoui dans mes cheveux, il a murmuré : “J’peux pas m'empêcher d’avoir peur pour Jo, maintenant. Parce qu’ils me faisaient tous les deux penser à lui.”
J’ai ressenti une vague de douleur intense, comme s’il venait de m’annoncer qu’on avait déjà perdu Jo. Et ça m’a fait l’effet d’un électrochoc. Non, j’me  suis dit, et je me rappelle m’être quand même sentie aussi pertinente que Kiki. Parce que non. Je me suis légèrement éloignée de lui, ai pris son visage dans mes mains et l’ai forcé à me regarder. Je ne me suis jamais sentie aussi violente, urgente et déterminée. Il fallait que je lui transmette tout ce qu’il y avait de plus combatif, en moi, parce que : “Jims, regarde-moi. Il n’arrivera jamais rien à Jo. Jamais, tu m’entends ? On se battra contre le temps, s’il le faut, mais on ne le perdra jamais. C’est une promesse.”
On ne perd plus personne, dans cette famille, j’en fais le serment.
Et Teddy a intérêt à se réveiller, ou je vais probablement finir par casser, détruire ou brûler un truc.
Parce que : “Maintenant, ça suffit.” me dit le grondement de sa voix, dans mon esprit. “Et vous allez respecter les consignes !” renchérit la mienne avec force.

[...]
[Date] - 24 ans
Je ne peux plus rester dans les limbes, comme ça. Je n’en peux plus d’avoir l’impression de marcher le long d’un précipice, terrifiée à l’idée de basculer dans le vide. Je suis fatiguée d’encaisser, sans arrêt, sans repos, sans relâche. J’en ai assez de me dire que ce n’est pas ma peine, pas ma souffrance. Si c’était vrai, j’arriverais à reprendre mon souffle. Je m’en rends compte maintenant. J’ai mal. J’ai mal depuis des années et c’est probablement trop tard pour appeler à l’aide.
J’ai besoin de changement, de mouvement. J’ai besoin de savoir où je vais, qui je suis. Je ne sais plus bien à quel moment je me suis égarée. Quand est-ce que j’ai perdu mon identité ? En ai-je un jour eu une, ou n’ai-je toujours été qu’un patchwork fait à partir des millions de choses que des millions d’autres personnes espéraient que je sois ? J’ai passé tant de temps à me cacher derrière un sourire, ai-je seulement un jour su ce qui se trouvait derrière le masque ?
J’ai donc pris une décision. Pour savoir qui je suis, j’ai besoin de savoir d’où je viens. Et pour cela, je ne vois qu’une solution.
Voir ma mère.
Combler le vide qu’elle a laissé dans ma vie et enfin lui faire face. Ça met Jimmy en colère, que je veuille la rencontrer. Il n’arrête pas de dire que je ne lui dois rien, pas même mon temps. Je lui ai proposé de venir avec moi, pour que lui aussi puisse se forger son propre souvenir d’elle. Mais il m’a dit “Plutôt crever.” et quand il a vu à quel point ça m’a choquée, il a ajouté qu’il n’avait pas besoin d’avoir de nouveaux souvenir d’elle. Qu’il en avait déjà un. Quand je lui ai demandé quel genre de souvenir d’elle il pouvait avoir à trois ans, il m’a juste regardée avec des yeux tristes et n’a rien dit. Apparemment, la conversation était finie, parce qu’après ça, il est parti.
Compte tenu de sa réaction, j’ai décidé de ne prévenir aucun autre de mes frères, ni même mon père. Je sais que personne ne se montrera aussi véhément que Jimmy, qui n’a jamais voulu ne serait-ce que mentionner maman, mais ils ne peuvent pas comprendre. Personne ne peut comprendre.
J’ai donc cherché dans le bureau de papa, et ai trouvé le nom du docteur qui s'occupait d’elle. Le jour suivant, je me suis levée aux aurores et je me suis rendue à l’hôpital. Mais je ne suis jamais entrée.
Arrivée devant l’hôpital, mes genoux sont devenus du coton, ma respiration est devenue erratique, les battements de mon cœur ont accéléré et ma vision s’est brouillée. Je connais bien ces symptômes. Cette impression que je vais exploser. J’ai eu une crise d’angoisse. Peut-être que je ne suis pas prête…
J’ai trouvé un banc sur lequel m’asseoir en attendant que ma crise passe. Puis une fois que j’ai récupéré le contrôle de ma respiration et j’ai calmé mon cœur, la pression redescendant enfin, je me suis mise à pleurer. C’est physique, j’ai l’habitude. Et c’est passé comme c’est venu. Ça n’a même pas laissé de marque autour de mes yeux ou sur mon visage.
Et c’est là que j’ai eu une épiphanie : j’aurais dû demander à Charlie de m’accompagner. Je n’en suis pas revenue de ne pas y avoir pensé plus tôt. Je n’en reviens toujours pas. Pourquoi je n’y ai pas pensé ?
Ce n’est même pas que j’ai eu peur de le déranger. Je n’ai même pas eu l’occasion d’avoir peur de le réveiller… Faut croire que je me suis juste mise en tête que j’allais affronter ce dragon seule, sans arme, sans bouclier, sans armure.
Comme toutes les autres putain de batailles que j’ai perdues.
Désolée du gros mot, mais j’en ai ras le bol de ma propre censure. Je n’ai plus la patience d’embouteiller mes émotions. Pour le moment, j’arrive encore à les garder pour moi, mais je ne m’interdis plus de les ressentir. Et j’ai tellement de colère à ressentir. Je ne sais même pas pourquoi, je ne sais même pas quoi en faire. J’ai tellement de colère au fond que souvent, elle me fait peur. Parce qu’elle n’a pas l’air d’avoir de fond. Elle n’a même pas l’air d’avoir de cible. J’ai tellement peur qu’elle explose un jour et qu’elle blesse des innocents.
Est-ce que c’est ce qui est arrivé à ma mère ?
Je suis restée une heure comme ça, crispée, retenant presque mon souffle, les yeux rivés sur l’obstacle, la montagne, le fossé, qui s’élançait sous mes yeux vers le ciel qui se colorait à peine. Je me rappelle m’être demandé si l’une des fenêtres devant moi était la sienne. Peut-être me voyait-elle, depuis sa chambre ? Je me rappelle également le moment où j’ai compris que je n’y arriverais pas. Pas ce jour-là.
C’est dans cette position que j’ai rencontré Freddie Porter. Son docteur.
Je ne sais pas trop à quoi je m’attendais, quand j’ai pris le papier avec son nom dessus, mais certainement pas à ce que j’ai vu ce matin-là. Je ne m’attendais pas à ce qu’il soit aussi beau, aussi jeune, aussi aimable. Aussi audacieux. Honnête.
Je ne m’attendais pas non plus à ce qu’il m’invite à boire un verre avec lui. Je ne m’attendais même pas à ce qu’il me regarde avec l’intensité qui se trouvait dans son regard. Je ne me suis pas sentie vue comme ça depuis Vince. Et je ne sais pas si je suis prête à m’imposer ce genre d’expérience, à nouveau. J’ai une liste de choses à accomplir, je ne peux pas me permettre de me perdre à nouveau dans les exigences d’une relation. Pas alors que j’ai désespérément besoin de me retrouver.
J’ai donc décidé de refuser son offre.
Puis ma bouche a accepté.
J’aurais pu me frapper. J’étais venue ici pour tourner la page et refermer la plaie la plus béante de toute mon existence et à la place, je m’apprêtais sans le moindre doute à m’en ouvrir une nouvelle. Je plongeais tête baissée dans une nouvelle relation alors que je ne sais même pas si je me suis remise de la précédente. Ce n’est pas juste le départ soudain de Vince, c’est également tout le reste.
Je panique quand on me touche sans que je ne m’y attende. Je me ratatine lorsqu’un homme que je ne connais pas essaie de m’adresser la parole. J’angoisse quand on me fait des reproches. Je bats en retraite dès qu’on n’est pas d’accord avec moi. Je ne rebelle jamais, encaissant et m’excusant même quand je ne sais pas ce que j’ai fait de mal.
Je ne pense pas être supposée réagir comme ça. Je ne pense pas mériter de laisser tout le monde me marcher dessus comme ça.
Je pense que j’ai laissé un homme me briser pour ne pas le perdre. Et que je l’ai perdu quand même. Je pense que je l’ai laissé m’éloigner de mes amis, et que j’ai perdu 18 mois de ma vie avec Teddy. Que je ne les retrouverai jamais et que je ne pourrai peut-être plus jamais rattraper le temps perdu, avec lui. Je pense que je ne l’ai pas perdu depuis un an, mais que ça fait plus de deux ans que je suis privée de lui. Je pense que ce n’est pas juste. Je pense que j’ai peut-être le droit d’avoir mal. Que j’ai peut-être le droit d’agoniser. Que j’ai peut-être le droit d’en vouloir à Vince.
Que j’ai peut-être le droit de me demander si tout ça, c’est réellement de ma faute.
Que j’ai peut-être le droit d’avoir peur des autres hommes. D’avoir peur des relations.
Que j’ai peut-être le droit d’avoir peur, tout simplement.
Que j’ai peut-être le droit de ne pas vouloir revivre ça.
Que j’ai peut-être le droit de me protéger.
D’être traumatisée.
Ou peut-être que je m’emballe.
C’est juste un verre.
Juste un verre
C’est tout.
Pour l’instant.

[Date] - 24 ans
Ce n’était pas qu’un verre. Enfin techniquement, si, on n’a littéralement bu qu’un verre chacun. Mais c’était bien plus que ça.
Tout d’abord, j’aurais dû m’attendre au degré de compassion, d’acceptance et d’attention dont Freddie était capable. Je ne pensais pas être capable de me détendre, car j’avais deux scénarios possibles en tête : soit j’allais être forcée dans une relation pour laquelle je ne me sentais pas prête, soit il allait me psychanalyser. Et aucune de ces options ne m’emballaient particulièrement.
Spoiler alert : avant même que la soirée ne soit finie, j’avais changé d’avis pour au moins l’une d’entre elles.
Je suis obligée de l’admettre, je suis séduite et intriguée. Il est tellement serein, tellement stable, tellement… Je ne sais même pas comment le décrire.
J’avoue qu’au début, j’étais un peu suspicieuse. Il a eu l’air sincèrement intéressé par les choses que j’avais à dire, amusé par les blagues et anecdotes que j’avais à raconter, séduit par ce qu’il voyait. Même dans nos débuts, pendant la phase de séduction, Vince n’avait pas paru aussi ouvert. Donc forcément, j’ai trouvé ça louche. Puis j’ai trouvé ça triste, de ne pas être capable de faire confiance à la bonté.
J’ai donc décidé d’arrêter de comparer l’homme qui s’est enfui sur un autre continent et qui a passé 18 mois à vouloir me changer à l’homme qui n’a pas eu l’air de trouver idiote la moindre parole sortant de ma bouche. Tout du moins, j’ai décidé d’arrêter de le faire de manière consciente. Mais compte tenu du frisson de surprise que j’ai ressenti à chacune de ses bonnes intentions, je suis presque sûre que mon inconscient à continuer sans mon consentement.
Est-ce que je suis naïve de vouloir faire confiance à Freddie ? Est-ce que c’est bête de ne pas m’armer contre le mal qu’il pourrait me faire ? D’espérer, d’y croire, ne serait-ce qu’un tout petit peu, tout en connaissant le risque ?
Mais est-ce que je lui fais vraiment confiance ? Je ne suis pas tout à fait sûre. Je suis terrifiée. Il me regardait avec de magnifiques yeux brillants et j'avais envie d’y croire, vraiment, j’en avais envie. Mais les yeux de Vince aussi brillaient. Jared aussi, s’intéressait à tout ce que je disais. Mais même si ces relations étaient difficiles et demandaient des efforts, même si j’ai été quittée et laissée seule à New York, je ne pense pas les regretter. J’ai souffert, mais je pense que n’avoir eu personne du tout aurait été encore plus terrifiant. Est-ce vraiment ma place de questionner les bonnes intentions de quelqu’un qui veut de moi ? Suis-je dans une position de refuser ?
Peut-être. Mais la vérité, c’est que Freddie est, de base, différent.
Déjà, Freddie connaît ma mère. Il sait même plus de choses sur elle que moi, et il ne les utilise pas pour me faire sentir plus vulnérable. Mes frères et mon père ne me veulent que du bien, je le sais. Et je suis sûre qu’ils ne se rendent même pas compte qu’ils utilisent parfois ce qui est arrivé avec ma mère (quoique ce soit) comme excuse pour me couver et m’empêcher d’étirer mes ailes.
Freddie ne me juge pas en fonction de ce qu’il sait de l’état de ma mère, ou de ce qu’elle a fait. Il ne me regarde pas comme si j’allais me briser, ou briser quelqu’un d’autre. Il connaît ma mère, mais il ne parle jamais à Mary Wallace, quand il me parle. Il n’y a pas de de regard triste volé, quand je fais quelque chose qu’elle aurait fait. Il n’y a pas de regard suspicieux si je ne souris pas.
Ensuite, il veut vraiment savoir à quoi j’aspire. Quand j’ai eu mon diplôme, j’ai arrêté mes études en espérant pouvoir un jour trouver ma voie. Il s’avère que depuis, tout le monde, y compris moi, parfois, a oublié que ce n’était censé qu’être temporaire. Je travaille dans ma petite bibliothèque et après tout, ça me va si bien, pas vrai ? J’étais faite pour être entourée de livres. J’étais faite pour vivre dans un monde fait d’imaginaire. Et c’est ce que j’ai dit à Freddie. Je lui ai dit que j’étais à ma place. Il m’a demandé si j’étais sûre, car il n’avait pas l’air convaincu. Et c’est là que je me suis rendue que non, pas du tout. Je m’ennuie à la bibliothèque. Les moments que je préfère, c’est quand des classes viennent visiter. Les meilleures sont les sections de maternelles qui viennent pour qu’on leur raconte une histoire.
Et là, il a dit quelque chose d’incroyable. Il a dit “Tu as déjà pensé à être maîtresse de maternelle ?”
Sur le coup, je n’ai pas compris pourquoi ça m’avait soufflée. Mais au bout d’un moment, j’ai compris. Il m’a cernée. Il a fait attention à ce que je disais, à comment je le disais et il a interprété les mots que je voulais dire même s’ils m’échappaient. Charlie est le seul à être capable de faire ça, avec moi. J’veux dire, Cherry et moi, on peut quasiment avoir des conversations télépathiques, tellement on est greffées à l’âme, mais Charlie, il comprend ce que je ne dis pas et ce que je ne veux pas ou ne peux pas penser.
Et à partir de ce moment-là, j’ai arrêté de comparer Freddie à Vince et Jared, et j’ai commencé à le mettre au même niveau que mon meilleur ami. Et compte tenu de la hauteur de la barre, je me suis encore plus demandée ce qu’il me trouvait, et pourquoi il n’avait pas déjà une Sofia. Parce que, c’est sûr, il mérite une Sofia.
Mais il n’a pas de Sofia, et apparemment, il veut une Ashley, pour ne je-ne-sais-quelle-raison.
Et je crois qu’Ashley ne veut pas d’un Freddie.
Je crois qu’Ashley a besoin d’un Freddie, et n’acceptera rien d’autre.
Et Ashley restera jusqu’à ce que Freddie se lasse.
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