J’ai tellement envie de pisser ! Plus on s’approche de l’entrée de l’appartement, et plus j’ai envie de pisser. En plus, on a même pas pu prendre l'ascenseur parce qu’il est cassé, et ça sent tellement la pisse dans les escaliers qu’à un moment, j’ai cru que c’était moi qui m’étais lâchée. Mais heureusement, non. Pas que j’aurais eu honte, ou quoi. Ça n'aurait pas été l’endroit le plus inapproprié où j’aurais pissé dans ma vie, mais j’ai vraiment envie d’inaugurer les toilettes de l’appartement. Parce que c’est la première fois en 5 ans que j’ai des toilettes qui sont à moi. J’vais peut-être même pouvoir m’asseoir sur la cuvette sans avoir peur de choper une infection. Le luxe.

J’allais demander si on était bientôt arrivés, mais pile à ce moment-là, comme s’il savait, Ethan s’arrête devant une porte. « On est arrivés. » Annonce son magnifique demi-sourire du haut de sa superbe stature. J’ai chaud, quand il me regarde depuis son perchoir, comme ça. Je me demande souvent à quoi ressemble le commun des mortels, vu de là-haut, mais à chaque fois que je pose la question, il me regarde toujours droit dans les yeux et répond "spectaculaire."

Il est tout heureux, quand il me voit sautiller. J’suis toute excitée. On vit ensemble depuis des années, mais c’est la première fois qu’on a un chez nous qui n'est pas monté sur des roues et qui ne sent pas l'essence. Un vrai chez nous, avec des vrais murs, un vrai plafond, et des toilettes, même si ses bras ont toujours été mon vrai chez moi, encore plus que Halen. C’est pas pareil. On va avoir un nid à nous, qui nous ressemblera. Ce sera l’extension de ses bras. On y créera des souvenirs et chaque pan de mur racontera sa propre histoire. Notre histoire. On n’aura même pas besoin de le faire nous-même (même si on le fera), parce que y’aura du nous de partout.

« J’suis toute excitée. Je savais même pas que j’avais envie qu’on est un chez nous avec une adresse avant qu’on commence à en parler, mais maintenant que c’est là, devant moi, j’ai très envie qu’on ait un chez nous avec une adresse. J’ai même hâte de passer le balai pour la première fois. J’veux savoir si ça me fera vomir sur les radiateurs de faire la vaisselle.» Il rit et m’embrasse les cheveux, qui sont tellement courts qu’on dirait presqu’il n’y a rien entre mon crâne et ses lèvres. C’est comme s’il embrassait mon esprit.

Il tourne la clef dans la serrure, mais se tourne ensuite vers moi « Ferme les yeux et laisse toi faire. » m’ordonne-t-il avec douceur. « Vous n’avez pas à m’dire c’que j’dois faire.» Dis-je en obéissant.

A peine mes yeux sont-ils fermés que je le sens me porter comme un prince qui porte une princesse. C’est comme si on était déjà marié. Je le sens avancer. Je le sens se tourner légèrement pour pas que je me cogne la tête contre l’embrasure de la porte. J’ouvre la bouche pour dire un truc, mais il a dû me voir faire parce qu’il me dit « Pas tout de suite, si tu parles maintenant, j’vais jamais pouvoir te dire quand tu dois ouvrir les yeux, et tu verras pas l’appartement, et tu pourras pas aller pisser. » Y’a des failles dans sa logique, mais il chante presque quand il le dit, alors encore une fois, je suis ses ordres.

Il avance encore quelques pas, puis s’arrête. Il me repose, guidant chacun de mes mouvements pour s’assurer que j’me ramasse pas sur notre nouveau sol à nous. Il cale ses bras autour de mes épaules, et même s’il s’appuie pas sur mon dos, son souffle dans mon oreille m'annonce qu’il est courbé. Il murmure « Tu peux les ouvrir. » et je frissonne avant de le faire.

« Oh putain ! » Je m'exclame avant même de savoir quelle émotion me gouverne. C’est un appartement minuscule, probablement plus petit que ma chambre au ranch. Les murs sont complètement blanc, vierge, et pourtant, ont un aspect viellot, fatigué. Il est vide, y’a des câbles qui traînent, le sol est dégueu… Mais… « Il est parfait. Il juste assez grand pour nous deux. Et on va le rendre encore plus parfait. Pis même qu’un jour, on aura un lit, et ce sera cool parce que ce sera un lit-canapé, comme ça, même replié, on pourra dire qu’on regarde la télé au lit. Fin si on a une télé un jour, mais j’veux dire, pourquoi pas ? Après tout, on a un appartement, maintenant, donc tout est possible. J’ai tellement hâte de pouvoir le décorer. On en fera un lieu lumineux. Comme tes yeux. J’ai hâte de pouvoir regarder les murs et d’y voir ton sourire. » J’me jette à son cou.

Il me rend mon étreinte et j’entends son sourire quand il me dit « Je savais qu’il te plairait. Que tu verrais son potentiel. Cet appartement n’est que la première étape. Quand on aura des enfants, on en prendra un plus grand, qui aura plein de potentiel aussi. Mais pour le moment, on a juste besoin de ça. Toi, moi, et toutes les couleurs que tu jetteras sur les murs avec tes rires. » Il se sépare de moi pour m’embrasser, et me regarde dans les yeux, son demi-sourire greffé à ses lèvres, faisant monter la température. Est-ce que j’ai déjà eu aussi chaud ? « Et parlant de couleur et de mur, on peut même commencer maintenant. J’ai acheté un pot de peinture orange et un pinceau, pour que tu puisses baptiser l’appartement.»

Il me montre le matériel, qui attend bien sagement au pied d’un des murs. Je sais exactement ce que je vais peindre. « J’vais peindre quelque chose qui réchauffe. Quelque chose qui nous regarde du haut de son perchoir, sans qu’on puisse lui rendre la pareille, sous peine d’être ébloui. J’vais peindre quelque chose qui fait rougir si on reste sous ses feux trop longtemps. Quelque chose qui rayonne, qui donne la vie, et sans quoi on peut devenir fou. J’vais peindre un soleil. Et il s’appellera Ethan. »

Il se mord la lèvre et rougit. J’adore quand il fait ça, ça m’emplit de fierté. Il sourit, m’embrasse le front et soupire, heureux. « Ma Shanya. » Il vient de me dire “Je t’aime.”

Il me tapote la fesse et s’éloigne de moi en riant.

« Allez, va pisser, va. Et après, tu pourras commencer ton oeuvre d’art. Tu me diras où tu veux que j’me mette pour prendre la pose. »

« Tu te mets où tu veux. J’te verrai même si tu te fous sur le balcon. Une chose est sûre, c’est que je risque pas de te perdre, dans cet appartement. Et tant mieux, parce que je suis sûre que je le trouverais trop grand, si j’t’y trouvais pas. » Je réponds en me dirigeant vers la seule porte de l’appartement. « Shanya, t’as envie de pisser, j’te rappelle. » Dit-il en me montrant à nouveau la porte. Oui, bon, ça va, j’ai pas oublié… Mon cerveau a juste oublié de prendre des nouvelles de ma vessie. Erreur réparée.

J’entre dans la pièce, mais prends le temps de lui lancer un dernier regard avant de fermer la porte.   « Mais faut que tu saches, c’est un portrait nu. Donc à poil, et plus vite que ça. »

J’ai juste le temps d’entendre son « Oui, chef.» avant de me retrouver seule dans cette nouvelle pièce, sans lui.

Il me manque déjà.